Ainsi Va la Vie épisode n°132 ...La libellule
Son petit index tendu, la bouche ronde ouverte à gober les mouches, les yeux écarquillés mon fils, deux ans et demi, redécouvrait pour la deuxième fois de sa courte vie le vol gracile d’une libellule au ras de l’eau claire, tendue sans la moindre ride de la piscine devenue en ce clair d’automne ; étang en hivernage.
- Billule… Billule…
Le petit insecte, pas si petit que ça puisqu’il devait mesurer un bon vingt centimètres de la tête à la queue et autant d’envergure d’ailes nageait dans l’air à quelques mètres de sa main.
Loin de l’effrayer, l’envie de capturer l’intruse bruyante et téméraire le démangea un court instant. En bon chasseur, d’instinct, il baissa le ton de sa voix de crainte qu’elle ne s’éloigne pour juste murmurer du bout des lèvres.
- Belle… belle Billule
Nous observions émerveillés et en parfaite communion le vol de la princesse des eaux comme deux enfants du même âge ; captifs, curieux, fascinés et éblouis.
Qu’elle était belle cette ballerine dans son justaucorps bleu à jouer des pointes en s’appuyant sur l’air comme on effleure un sol sans jamais le toucher et pourtant en s’en servant secrètement d’appui.
Qu’elle était belle à battre de ses ailes comme de capes à la translucidité du plus fin cristal. Qu’elle était belle à s’approcher si près pour nous faire partager sa grâce comme si ce vol ne s’adressait qu’à nous, qu’à lui.
Après maintes rotations qui aurait pu laisser à penser qu’elle évoluait sous l’influence d’une télécommande ; la jolie petite princesse se posa sur l'avant-bras de Davy.
Au-delà de la situation improbable, digne d’un dessin animé de Walt Disney, qui se jouais sous nos regards ébahis; j’observais la scène avec les yeux émerveillés d’un père heureux. Heureux que ce phénomène rare se produise devant et avec son fils.
Il n’était pas seulement spectateur mais acteur. Dans son regard je devinais qu’il avait traversé l’écran. Heureux du souvenir grandiose qu’il allait raconter à tout son entourage et transporter toute sa vie parmi les images les plus féeriques de sa prime-jeunesse. Heureux de tous ce que ces instants dégagent et que les mots ne traduiront jamais. Heureux de le voir heureux.
Heureux et souriant j’observais la scène…. quand tout à coup, sans raisons apparentes, une crainte, une angoisse, une appréhension s’ajouta à la peur qu’il panique et s’affole. Il n’y avait pourtant aucun risque mortel. Il était au bord d’une piscine pas d’une falaise. Et pourtant en réaction à ma seule intuition je quittais en une fraction de seconde ma complicité infantile pour reprendre mon rôle naturel de protecteur. Etrange métamorphose.
Mais fausse alerte. Mes muscles et toute cette attention rapide et violente qui surmultiplient les réflexes s’étaient tendus pour rien.
« Que nenni » comme aurait dit un de nos anciens présidents. Il ne bronchait pas ; immobile, contemplatif et souriant. Il observait à moins de dix centimètres de son nez ses gros yeux à facettes, ce long corps bleu étincelant et ses ailes d’argent qui scintillaient dans la lumière du matin. On aurait même cru qu’ils communiquaient.
Faut-il croire au surnaturel pour imaginer que l’enfant et l’animal se parlaient, échangeaient, s’appréciaient dans une langue sans mots ? Peut-être par télépathie ? Ils communiquaient j’en suis convaincu par un moyen de transmission extrasensoriel que nous perdrions en grandissant.
Je crois qu’il aurait pu la caresser sans l’effrayer et sans qu’elle ne s’envole. Fantastique confiance mais de qui ? De l’enfant sur l’animal ou de l’animal sur l’enfant ? A moins qu’ils ne soient à cet âge-là que deux petits êtres très similaires encore inconscients de leur appartenance à des classes qu’arbitrairement l’homme a établies et peut-être pas encore la nature.
Puis le regard de mon fils oscilla interrogatif de mes yeux à l’animal docile qui se reposait en toute quiétude sur sa manche. Sa question non formulée mais lisible dans son regard aurait pu se résumer par :
- Papa !...Et qu’est-ce que je fais maintenant ?
À laquelle je répondis :
- Bouge pas. Elle est inoffensive.
Mon conseil et mon qualificatif ne lui apprenait rien qu’il ne sache déjà. Il n’y avait ni crainte ni peur dans leur relation devenue presque intime. Juste pour Davy ; l’envie de passer à autre chose que de continuer à jouer les perchoirs in aeternam.
Aucune peur !... et pourtant. Si l’on ramène la taille de l’animal proportionnellement à la sienne sur mon propre bras cela donnerait une libellule d’environ 38 cm … je crois que je serai plus impressionné et moins intrépide que lui.
Et là, ni peur ni crainte ne transpiraient. Juste un doux copinage. Jusqu’au moment où, comme un signe d’aurevoir ou attiré par cette fascinante couleur bleue il essaya de la caresser. Et encore plus incroyable ; Il y parvint. mais, et je n'en suis pas certain vu le temps de retard entre sa caresse et la réaction, il déclencha peut-être son envol.
Elle refit brièvement le tour de l’étendue d’eau comme un signe d’adieu, là c’est moi qui veux y croire, puis disparut.
Pour le consoler du départ inopiné de sa nouvelle copine indifférente à ses caresses, j’aurais pu lui expliquer avec des mots simples que cet évènement déstabilisant se reproduirait certainement quelques autres fois tout au long de sa vie et qu’il est parfois bien difficile de se remettre du départ d’une libellule qu’on a aimée profondément aimée. Qu’elle continue longtemps à danser dans nos rêves. Qu’on n’imagine pas qu’elle ne reviendra pas… que le cœur saigne longtemps, très longtemps et que quelque fois même ; on ne l’oublie jamais.
Mais je préférais qu’on passe à autre chose et pendant que l’image de la princesse des eaux nappait encore son regard je lui expliquais que la libellule était un insecte très utile qui se nourrissait de vers, de moustiques, de moucherons et surtout de chenilles.
Et, pour poursuivre le plus ludiquement possible ce mini cours de Sciences Nat et rester dans le jeu de la découverte nous allâmes observer les pérégrinations des « Alludes », grosses fourmis à ailes, qui sortaient de terre après la pluie de la veille.
Enfin, pour ne pas aggraver sa déception nous ne remîmes pas en liberté, comme juré la veille, l’énorme scarabée rhinocéros qui habitait provisoirement et pour deux nuits seulement une magnifique boite d’allumettes aménagée en chambre d’hôte.
Je n’ignorais pas qu’un jour, comme tous les enfants de sa génération il serait lui aussi hypnotisé par des écrans de toutes sortes. Mais en attendant, nous partagions ensemble le plaisir de découvrir la vie, la vraie au fil de la nature, des planètes, des plantes, des champignons, des oiseaux, et de tous ces êtres vivants dans notre environnement rural ou maritime
Et ce soir, à la tombée de la nuit c’est lui qui viendrait me chercher pour compter le nombre de chauves-souris qui s’envolerait depuis la sous-pente de la toiture ou une colonie de pipistrelles avait trouvé refuge et se reproduisaient depuis de nombreuses années.
J’adorais qu’il vienne me tirer la manche pour que je l’accompagne compter les « Sauves-Souris » comme il disait.
Ce jour-là, et les jours suivants d’ailleurs, il raconta à qui voulait l’entendre son aventure avec sa copine la Billule bleue.
C’est alors que l’idée me vint, à l’heure de lui raconter une histoire pour l’endormir, après les explications pures et dures simplement encyclopédiques que je vulgarisais au maximum pour que mes mots collent à son jeune âge, de mêler la réalité au conte et à l’imaginaire.
- Officiellement la libellule est un insecte volant qui…
Mais la légende raconte que… dans la forêt de Brocéliande ou vivait toute une faune magique de lutins, gnomes, sorcières, enchanteurs et que sais-je encore, vivait aussi des dizaines et des dizaines de fées… de toutes petites fées aussi jolies que Mélusine et Clochette.
Ses yeux s’ouvraient si grands que je me demandais si mon histoire allait l’endormir ou le garder éveillé au-delà du raisonnable.
- Il y avait aussi un ogre !
- Non !
- Si !... Un ogre mangeur de fées
- Hoooo…
- Mais les fées ont beaucoup, beaucoup de pouvoirs. Entre autre celui de se transformer. Aussi, quand les fées jouaient, chantaient et se baignait dans les étangs de la forêt il y avait toujours une fée guetteuse prête à les avertir du moindre danger. Et…
Et ?
- Si l’ogre s’approchait elle sifflait
- Et ?
Les petites fées se transformaient !
- En quoi ?
- Et c’est là que c’est magique…
-Hoooo ???
- En li…be…llules
- NOoooon…
- Siiiiii……Et c’est ainsi qu’aucune fée ne fut jamais mangée par l’ogre.
-Ha !....
- Donc si la légende n’en était pas une ? Peut-être que la libellule qui s’est posée sur ton bras c’était...
- …Une fée ?!
- Et c’est certainement pour ça qu’elle n’avait pas peur ? Ta Billule !
- La fée Billule !?
Comme si nous avions partagé un merveilleux secret à garder précieusement et à ne révéler à personne il ne parla jamais de la fée, sauf à sa mère et moi.
Aujourd’hui, alors qu’on dit que les enfants de cet âge n’ont pas de mémoire, quelques décennies plus tard, mon fils se souvient encore de la libellule bleue.
Mais qui peut oublier une fée ?
Ainsi Va la vie…
Williams Franceschi
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