Ainsi Va la Vie… épisode n°122… L’AMOUR à la Campagne
Ce matin, juste avant le vrai lever du jour, dans la fraicheur de la rosée j’ai traversé le village pour rentrer à la ferme. J’aime bien ces ruelles, aux pierres lourdes d’histoire, devenues vides et calmes où juste quelques grillons insomniaques et des sauterelles en frottant leurs ailes nappent le silence de leurs crissements légers auxquels se rajoute, en passant près du ruisseau qui irrigue la fontaine, le croassement de quelques rainettes. Que c’est doux le petit matin ; un rien humide mais doux.
Cette nuit j’ai dormi dans la grange du père Albert. J’ai un petit coin à moi dans le foin à côté des poules et des lapins. Mais dès le petit jour il faut que je rentre. Si je ne suis pas de retour avant que la Louise ouvre sa grosse porte en chêne qui grince comme la sirène de la mairie elle risque de s’inquiéter. Elle ne parle pas beaucoup la Louise. Elle marmonne, elle râle, elle vocifère, elle pense tout haut tout en mangeant un quignon de pain et un morceau de fromage. Ça évite encore plus qu’on comprenne ce qu’elle pense clairement. C’est drôle comme les gens qui ne vous disent presque rien pensent plus à vous que vous ne l’imaginez.
Au village, ils ne l’aiment pas beaucoup la Louise. Pourtant elle ne dérange personne. Elle passe. Elle passe depuis toujours avec ses habits noirs, son petit chapeau et son sac de cuir marron d’un autre siècle. Elle passe en marmonnant comme si elle se répétait tout ce qu’il ne fallait pas oublier de faire et de dire. Et de temps en temps, au milieu de tout ça, elle arrête de marcher, se signe, récite un pater noster ou un Ave se signe à nouveau et reprend ses barbarismes en s’adressant à un oiseau ou à un chat sur le bord d’une fenêtre qui semble parfaitement la comprendre. Et cette petite musique sourde qui tourne dans sa bouche l’accompagne à longueur de journée. En passant elle dit bonjour d’un signe de mains à certains et un bonjour en patois aux anciens qu’elle connait mieux.
C’est une figure du patelin et même des bourgs environnants cette vieille vieille sans âge. Y’en a qui disent qu’ils la connaissent depuis toujours et qu’elle était exactement pareille et déjà très vielle quand elle était jeune. Et ce n’est pas une faute de français c’est exactement ce qu’ils veulent dire et ça les intrigue. Ca les intrigue et moi pas du tout. Parce que moi, officiellement, j’habite chez elle. Il faut dire que j’y suis né.
J’y suis né il y’a neuf ans et quelques mois. Et oui je sais, je suis très vieux. Comment c’est pas vieux neuf ans ? bien sûr que c’est vieux. Ha! Mais j’avais oublié de vous préciser un petit détail ; je suis un chien.
Je m’appelle Fédor. Et d’après les calculs savants que j’entends perpétuellement depuis mon poste d’écoute sous la table lors des repas de famille et sur lesquels personne n’est vraiment d’accord ; j’ai en âge d’homme environ 63 ans. Reconnaissez que ça ne fait pas de moi un jeune perdreau de la dernière couvée.
Je suis un chien de pures races puisque j’en cumule dans mes gênes une liste longue comme un jour sans pain… ou un jour sans os, si l’on se réfère à la littérature canine. Je suis un berger « Quelquechose » croisé Griffon « Dejesaisplusquoi » vous avez remarqué la particule ? Et cousin germain proche et éloigné avec tous les sans colliers de la région. Si ça, ce n’est pas un pédigrée de premier choix ; je n’y connais rien.
Mais, me direz-vous ; que vient faire ce chien au milieu d’une chronique sensée raconter durant l’été de courtes histoires d’amour ? Et bien justement, j’y viens : Je suis amoureux. Je sais, un chien qui vous raconte ses amourettes c’est pas banal. Remarquez si c’était banal… il n’y aurait aucun intérêt.
Donc je suis amoureux ! Mais alors très très très amoureux…A parce que vous pensiez que les chiens ne fonctionnaient pas comme les hommes. Mais c’est les hommes qui ont décrété ça, pas nous. D’ailleurs, nous ont-ils demandé notre avis ? Nom d’un homme ! Jamais ! Pour les hommes les chiens ne s’aiment pas ; ils se reproduisent point barre. A vrai dire ce mode de fonctionnement c’est plutôt chez les humanoïdes que c’est rependu. Mais on s’égare.
Néanmoins, réfléchissons. Qu’est-ce qui, nous les chiens, nous différencie de ses homos erectus à part que nous marchions sur quatre pattes et eux sur deux, qu’ils aient des mains là où nous avons des coussinets et surtout qu’ils parlent. Pour les premiers éléments on peut dire que c’est un avantage en leur faveur. Pour le dernier ; la parole est-elle primordiale ?
Bon je reconnais que ça évite de s’étaler en grimaces et contorsionnèrent de tous genres pour se faire comprendre mais à part ça…
A part ça notre vue est 20 à 30 fois supérieure à la leur, notre ouïe entre 100 et 1500fois, nos instincts incomparables, notre force n’en parlons pas ! Et surtout nous sommes gentils, fidèles, protecteurs…. la liste est tellement longue… Nous sommes capables de mourir par dévotion ou par amour. Et puis nous avons évidemment notre nez.
Nous sentons et nous ressentons à des kilomètres alors que les pauvres hommes ne repère le parfum d’une fleur que s’ils y collent les narines dans le pistil ! Pauvres hommes !
Ha ! Si les hommes avaient du nez ! Le fils du boulanger ne s’obstinerait pas à courtiser la jeune institutrice, puisque lorsqu’il s’approche d’elle, même si elle répond à ses sourires par des sourires, ce n’est que politesse. Elle ne dégage aucune odeur… Aucune ! Alors que lorsque la même jeune institutrice croise le fils Philippe de la ferme d’en haut si lui, semble indiffèrent à son charme, elle ; qu’est-ce qu’elle dégage. Mais les hommes ne sont pas sensibles à ces odeurs de la vie et du désir. Si les hommes pouvaient voir ce que je vois à travers ce que je sens il serait bien surpris.
Certains samedis, au bal du village si les Don Juan en herbes et les Casanova sur le retour, pouvaient se rendre compte, rien qu’avec leurs nez, qu’ils n’ont aucune chance, ils ne s’accouderaient pas au comptoir de la buvette avec cet air supérieur d’invulnérable chasseur. Non, je crois que conscient de la réalité, ils se coucheraient dessous la table, avec moi, les deux pattes avant sur le museau et pour les pires les deux pattes avant sur les yeux.
L’homme a perdu son odorat et quelques sens essentiels, en particulier le bon sens. Mais je ne vais pas, à mon âge, me donner un mal de chien pour refaire le monde des hommes.
Je sens que vous vous impatientez. Alors parlons de mon coup de foudre. Tout a commencé il y a quelques semaines. Je rentrais comme d’habitude de la grange du père Henri quand tout à coup sur le chemin, attiré par un parfum à nul autre pareil mon GPS interne, sans besoin des aboiements directionnels de la femelle qui vous indique le plus court chemin s’est déréglé au profit de l’instinct. Suivre ma route en suivant les effluves d’un parfum, voilà ce que me disait mon instinct ; mais pas n’importe quel parfum. Le parfum de l’amour.
Ce parfum venait de l’autre côté d’un haut mur qui clôturait une immense propriété. En passant devant le portail d’entrée je repérais au bout d’une longue allée bordée de rosiers une impressionnante maison de maitre et j’apercevais aussi, à l’avant de deux colonnes de poussière, deux molosses qui fonçaient vers moi au triple galop toutes babines et canines dehors. Un accueil de roi pour un chien de ferme, quel honneur. Très impressionnant ces deux gardes du corps bruyants et qui sait, peut-être féroce. Chez vous on appelle ça des bodyguard bodybuildés, chez moi des Bull machin bruyants. En gros, des grandes gueules.
Malgré leur acharnement à sauter dans tous les sens, à gesticuler et à montrer les dents comme s’ils allaient me bouffer tout cru, je gardais mon calme. Ce flegme british dont j’aime à jouer me vient d’un ancêtre Setter dont je n’ai gardé qu’une toute petite tache noire sous l’oreille et cet esprit combatif mais fair-play. Mais allez expliquer ça à deux brutes. J’ai même eu l’impression que plus je gardais mon calme plus la moutarde leur montait au nez. Et aucun humour. Et puis soyons honnête ; je n’avais pas peur. Non sérieusement pas peur. Surtout bien à l’abri derrière les barreaux du portail. Je reconnais que pour affirmer mon courage les conditions parfaites étaient réunies. Néanmoins, à force de taper de tous leurs poids contre la fermeture j’ai eu un doute sur le côté incassable des serrures forgées chez Ulysse le forgeron du bourg d’à côté et par la même de la vitesse à atteindre et la distance à tenir pour dormir entier et légèrement essoufflé chez le père Henri ou la Louise. Une fois tous ces critères pesés et sous pesés je décidais après un salut poli et courtois de tracer ma route. Avant qu’à trop tirer sur la corde elle ne casse.
Le vendredi suivant, je déambulais sur le marché de la place du village quand… j’ai croisé ma dulcinée. C’était la première fois. Whafff ! La première fois en vraie. Incroyable elle était exactement comme dans mes rêves. Aussi belle que son parfum. Au début je n’ai pas osé m’approcher et puis c’est elle qui s’est retournée. Je me voulais discret mais j’étais trahi par mon odeur surtout celle que j’émettais en la voyant et de son côté celui qu’elle secréta m’envahi la truffe. Nous étions en communions. Nous pouvions enfin rêver l’un de l’autre à travers une image et des émotions invisibles aux yeux des autres mais tellement réelle pour nous.
Les hommes disent que lors de ses périodes amoureuses les chiennes sont en chaleur et les chiens en chasse. Reconnaissez qu’il n’y a que l’homme pour qualifier l’appel à l’amour avec des mots aussi disgracieux. En chaleur !? C’est d’une chienne, merveilleuse chienne, dont ils parlent, pas d’un poêle à bois. Mais que voulez-vous, les hommes confondent la beauté et le charme, le sexe et la sensualité, alors allez leur demander d’avoir un soupçon de poésie pour qualifier le désir fût-il de leur meilleur ami. On n’est pas arrivé.
Bon revenons à nos moutons. Le problème c’est : Comment rencontrer mon amoureuse. Premier handicap nous ne naviguons pas dans le même monde. Il y a peu de chance que ses maitres invitent la Louise à boire le thé et que je sois de la fête. Et, mais ça c’est moins sûr, qu’ils passent à la ferme acheter des œufs ou du lait. Quoique. Alors il ne me reste qu’une solution pénétrer dans la propriété.
Le seul plan réalisable : Attendre à l’occasion d’une sortie ou d’une entrée de voiture que le portail s’ouvre. Me faire courser par les deux cerbères en les éloignant le temps que le portail se referme alors qu’ils courent à l’extérieur. Me rapprocher du trou dans le mur que j’ai repéré qui laisse s’écouler l’eau du fluvial, me faufiler par ce trou qui est juste à ma taille donc pas à la leur et une fois à l’intérieur c’est eux qui ne pourront plus me suivre puisqu’ils seront coincés dehors. C’est jouable. C’est jouable mais c’est dangereux.
Ho ! Ce n’est pas les deux musclés survitaminés au Canigou royal qui m’inquiètent le plus. Meme si je préfère la ruse à l’affrontement facial, s’il fallait en découdre, en dernier ressort, j’en découdrais j’ai connu pire.
Un détail clochait dans mon plan ; la vie m’a appris qu’un trou d’entrée n’est pas toujours exactement le même trou de sortie aussi paradoxal que cela puisse paraitre.
Mais aussi, après mures réflexions, ce qui me chagrinait le plus c’était l’éventuelle réaction des maitres. Et que mon amoureuse puisse en pâtir.
Alors penaud, les oreilles basses, après plusieurs tour de cet énorme mur d’enceinte, la queue entre les pattes je décidais de renter sans avoir au préalable fait bondir et hurler une dernière fois les deux bull machin. Tant pis ! Quelle vie de chien.
Trois jours que je ne mange plus. La Louise s’inquiète. J’aimerai lui dire que tout va bien, qu’il n’y a rien de grave, que je ne suis pas malade. Trois nuits que je ne dors pas ou d’un œil. J’ai le moral dans les coussinets.
Ce soir c’est décidé dès qu’elle regarde le journal à la télé, je traverse le village et je vais dormir dans la grange du père Henri. Ca y est, elle est occupée avec ses infos, sa soupe et le chat.
Plus je marche et plus son image m’obsède. Elle n’est pas plus jolie qu’une autre mais elle a quelque chose… allez savoir ? Ce petit rien qui fait la différence. Indéfinissable. Par moment son parfum m’enivre comme s’il flottait dans l’air, alors que l’air n’est porteur que de cette odeur de foin et d’herbe mouillé.
Voilà, encore quelques coups de pattes et je vais enfin pouvoir laissé mon corps se lover dans ce nid de paille. Ce nid qui a gardé ma forme. Juste un creux solitaire en une seule place. Une seule place où je vais m’endormir vaguement fatigué mais triste…très triste.
Je préfère être loin de la Louise. Elle qui m’a vu naitre, grandir, faire des bêtises, elle sait lire dans mes yeux quand je suis triste. Et quand je suis triste ça la rend triste ; alors autant dormir ailleurs. Parce que ce soir plus que triste je crois que je suis malheureux.
C’est étrange comme le cerveau remplace le manque par l’imaginaire et fait remonter des images et des parfums… des parfums pour compenser.
Enfin mon nid à quelques mètres! La route ne m’a jamais paru aussi longue. Mon nid. En plus la paille bouge le comble un intrus ma piqué ma place y’a des jours comme ça…
Mais l’intrus !? A les plus beaux yeux du monde. Elle a pris tous les risques. Elle est passée par le trou du mur. Elle a suivi mon odeur et ma trace sur des kilomètres et il y a des heures qu’elle attend. L’impossible ne s’applique ni aux femmes ni à l’amour. Et la vie sait vous réserver de belles surprises là où on n’attendait plus rien
Whaff !!!
Ainsi Va la Vie
(A suivre…)
Williams Franceschi
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