Ainsi va la vie... épisode n° 150... Oser le premier pas…
Jolie carte. Il en avait analysé le moindre caractère pour mieux en cerner le sien à travers ses choix typographiques. Rien n’est jamais anodin. Et même s’il avait pu se confirmer sans risque d’erreurs majeures ce qu’il savait déjà sur la douceur, la délicatesse ou la féminité de cette amoureuse des lettres et de la langue de Prévert et d’Hugo ça ne poussait pas ses doigts à composer un texto et moins encore à lui exprimer, ne serait-ce qu’en diagonale mais avec une précision d’orfèvre, ce qu’il ressentait vraiment.
Que c’est dur, difficile, compliqué de faire le premier pas. Dans son cas il ne s’agissait pas d’oser lui écrire. Ni elle de lui répondre. Sur ce plan ils avaient franchi le cap. Ils communiquaient déjà et beaucoup même si leurs messages, loin des longues correspondances enflammées, dont ils auraient été capables, restaient gentiment laconiques.
Ils s’écrivaient, sans trop en dire, sans se rependre, sans s’étaler, sans rien dévoiler sur la teneur exacte de leurs sentiments ou si peu qu’il fallait savoir lire en filigrane pour supposer espérer deviner.
Pourquoi agissaient-ils avec une telle réserve ? Par pudeur ? Par crainte ? Par respect ?
Ils étaient là, présents et immobiles derrière leurs mots comme deux timides qui n’osent pas se prendre la main.
A moins que, ne sachant rien ou trop peu de leur situation réciproque, chacun ait craint de mettre l’autre en danger, en porte à faux, en indélicatesse vis à vis d’un ami, d’un mari, d’une femme ou d’un compagnon. Ils écrivaient dans l’angoisse et la crainte que ces messages puissent être lus, interprétés ou pire exploités à mal escient par un lecteur mal intentionné alors même qu’il ne s’était rien passé. L’angoisse ruinant l’envie ; que leurs aveux puissent devenir compromettants si leur contenus avaient été plus sulfureux ou simplement plus généreux en confidences. Le pire des pièges.
Et c’est le « il ne s’était rien passé » qui aurait pu être très subjectif pour qui veut lire au-delà des lignes.
Car au fond l’amour n’existe-t-il qu’après le passage à l’acte ou déjà très largement quand il nous enflamme le cœur en traversant nos yeux ?
Sam n’en était qu’au stade du premier pas qu’il confondait avec sa déclaration et oser lui dire.
Par crainte, plus que par orgueil, Pataud et maladroit, lui connu d’ordinaire pour sa finesse, reculait l’instant fatidique de cette déclaration de seconde en seconde de minute en minute qui finirent par lui paraitre plus longues que les quelques jours qui le sépareraient de leur première rencontre.
La revoir. Lui parler de vive voix. Et…
Et… Pénétrant insidieusement son espérance le doute s’installait et l’envahissait au point de le pousser à conclure : Et si on en restait là ?
Pourtant ils s’étaient séparés sur un : « J’espère qu’on se reverra » auquel elle avait répondu par un : « J’espère, j’espère aussi » le visage lumineux et des étoiles scintillantes plein les yeux à faire pâlir de jalousie les plus belles voutes célestes des nuits claires du mois d’Aout.
Mais peut-être, malgré les apparences, n’était-ce que des mots jetés sur l’instant. Des phrases toutes faites. Des affirmations courtoises et polies… Et s’il ne s’était fait que des illusions ? Si rien de ce qu’il avait ressenti n’avait eu le moindre écho? Et si… et si ? Avec des si comme chacun sait on pourrait mettre Paris en bouteille et ça n’en ferait pas un meilleur cru.
Le temps ne fait rien à l’affaire, au contraire ; il larve le courage et consolide les incertitudes.
Enfin il se lança. De message en message et sans difficultés aucunes, sinon les disponibilités de chacun, ils convinrent d’un rendez-vous. Ouf !
Tout ça avait quelque chose de charmant, de sincère et de pur.
Se revoir… enfin se revoir. Dans quatre jours. Une poussière pour l’éternité. Une éternité à l’échelle de l’impatience. Juste quatre jours.
Que le temps parait long quand on approche d’un but qu’on ne croyait plus atteindre. Quatre jours avant de se revoir. Quatre jours d’attente. Quatre jours interminables remplis des même secondes fécondes des même infatigables minutes qui avaient peuplé les heures et les jours d’hésitation avant ce premier pas.
L’avant, cette attente, cette patience contre l’impatience. Des heures, des jours et des nuits inoubliables. Un temps qui parait s’allonger au fur et à mesure qu’il s’amenuise. Une période qui secrète un sentiment de torture presque physique et pourtant jubilatoire. Attendre, dans ce cas-là, n’est-ce pas souffrir de plaisir.
Le dernier jour, la dernière nuit ne se vivent pas elles se survolent et les aiguilles ou les chiffres de toutes les horloges semblent atteints d’une flémingite aigue.
La veille au soir de leur rendez-vous le bip du portable de Sam lui indiqua un SMS entrant. C’était elle. Avec la candeur et la naïveté presque infantile qui le traversait à chaque fois c’est d’une main fébrile et pressée qu’il alluma cet écran magique. Mais, dès les premiers mots son sourire fondit avant d’assombrir son visage.
Je suis désolée. Je ne pourrais pas me rendre à notre rendez-vous….
Si le texte d’une dizaine de lignes survolait plus qu’il ne développait les raisons avec élégance, Sam n’en retenait que la négative. Douloureuse négative même si, elle sous-entendait en lueur d’espoir que ce n’était que partie remise.
C’est étrange et fantastique tout ce qui peut se passer dans la tête d’un homme dans des situations pareilles. Cette poussée d’adrénaline au-delà du raisonnable suivie de cette chute de tension au-dessous du seuil de pauvreté. Une ascension supersonique à dépasser les nuages avec une sensation de pression 3G dans la poitrine sans assistance et cette chute libre vertigineuse et sans parachute à traverser le ciel, la toiture et tous les paliers d’étages jusqu’au sous-sol poussiéreux de la cave. Boum !... Waouh ! Le choc de l’atterrissage. Et dans quel état.
Sam se sentit petit, ridicule, des crampes au ventre le cœur meurtri et l’âme en peine.
Les braises froides dégageaient dans leurs fumeroles une odeur âcre aussi irrespirable que la chaleur et la majesté des flammes lui étaient apparues grandioses. Et pourtant il ne lui en voulait pas. Non il ne lui en voulait pas. Il se déroulait un long parchemin contenant la liste des raisons pour lesquelles il lui donnait raison.
Apres quelques jours de flottement sans nouvelles, sa belle inconnue lui exprima toute sa confusion et se voulut plus précise. Il ne s’agissait pas d’un empêchement, mais ça, il s’en doutait un peu, mais d’une marche-arrière.
Il n’était pas en cause. Ça, il n’y croyait qu’à moitié. En clair et pour faire court ; elle avait vécu une séparation douloureuse et l’Ami qui s’était fait la belle était revenu.
Si ce qu’elle lui annonçait était vrai : « Tant mieux ! » se dit-il sans hésiter. Puis il rajouta à haute voix :
« Tant mieux, tant pis et pas de chance ! » Avant de rajouter comme une évidence :
« Aimer c’est savoir renoncer ».
Simple à dire, moins à s’appliquer et pire à vivre. Et pourtant, au-delà de cette douleur qui lui traversait la poitrine et qu’il n’exprimait pas, il le pensait sincèrement.
Il se rendit compte, avec un temps de retard, qu’il avait employé le mot aimer. Aimer, dans sa phrase : « Aimer c’est savoir renoncer ». L’aimait-il déjà ? Aime-t-on une apparition ? Sans avoir rien vécu, rien partager ? Juste ressenti, profondément ressenti ? Est-ce vraiment suffisant ?... Peut-être. Peut-être pas.
Et si les raisons qu’elle lui invoquait n’étaient qu’un rideau de fumée ? Un faux prétexte pour dissimuler sa peur ou le besoin immédiat de s’extraire d’une aventure dans laquelle elle préférait ne pas réellement entrer ? Autre question.
Les jours qui suivirent le ciel de Sam resta couvert même par grand soleil. Et comme un automate il persistât à se rendre à sa banque dans des tenues cool peu ordinaires qui ne faisait plus jaser sur son passage. A croire qu’on s’habitue vite ou que l’aura et son atmosphère immatérielle qui se dessine autour d’un homme amoureux, invisible mais palpable, avait disparu.
Seul devant le miroir de sa salle de bain, en observant son visage, mais sans se parler à haute voix comme il lui arrivait de le faire en d’autres circonstances, il s’interrogea.
« Venait-il de se prendre le plus beau râteau de sa vie ? » Il eut envie d’en rire. D’ailleurs il en rit. Il en rit en silence puis en sourit avant que son regard triste ne le pousse à fermer les yeux et qu’elle n’apparaisse à nouveau sur l’écran de ses paupières.
Il prit conscience à travers ce visage et ce charme discret et envoutant qu’elle dégageait du fil des lèvres au bout des doigts, que l’oubli serait difficile. Terriblement difficile. Et pour l’instant totalement impossible.
Il devait pourtant, sans se retourner, reprendre sa vie bien rangée dont il n’aurait jamais dû s’éloigner. Mais on ne choisit pas de vivre ce qu’il venait de vivre.
Mais ce râteau ? Ne venait-il pas de lui donner une éclatante leçon d’humilité ? Et lui rappeler que son pouvoir de séduction avait, à n’en pas en douter, pris du plomb dans l’aile.
Il venait juste de s’assoir au volant de sa voiture quand son smartphone bipa pour lui annoncer un message. Non ce n’était pas elle. Mais une autre croisée dans un cadre professionnel qui n’était pas avares de compliments pour en arriver à lui affirmer sans filtres l’effet qu’il lui avait fait.
C’est toujours plaisant se dit-il, surtout après le revers qu’il venait de subir, en observant la photo jointe qui le fit siffler d’admiration.
Se trouvait-il dans un remake de l’histoire qu’il venait de vivre en inversant les rôles ? Ce coup du hasard aurait pu le consoler, ne serait-ce qu’à la vue de la photo s’il avait cherché à vivre une aventure. Mais à cet instant-là ; elle aurait pu avoir la plastique de miss univers qu’elle n’aurait pas pu rivaliser avec sa belle inconnue.
Et puis non ! Il n’était pas en quête de conquêtes. Il ne cherchait pas ailleurs.
Ce qu’il venait de vivre et qu’il vivait encore sans se l’avouer était…Inexplicable et d’ailleurs il ne cherchait pas à se l’expliquer.
Par principe il répondit courtoisement à la belle aux yeux pacifique et à la chevelure de Bonnie Tyler dont il se souvint subitement qu’elle occupait d’importantes fonctions au siège de sa banque et même les circonstances précises et le jour exact de leur rencontre. Et tout en feignant de ne pas avoir parfaitement saisi le sens exact de sa démarche il lui débita une longue tirade sur : « Le courage d’oser », y joint un smiley rigolo et referma son téléphone.
Mais le bip d’arrivée d’un nouveau SMS retentit à l’instant précis, où son téléphone rangé, il s’apprêtait à démarrer. Il hésita deux secondes, pensant que ça pouvait bien attendre. Puis, pris d’un léger remord, après un long soupir bruyant, se décida, le geste vif et nerveux caractéristique de la contrariété, à réouvrir sa sacoche et a en extraire ce fil à la patte encombrant mais indispensable.
Et le sms lui apparut…
…Tu ne t’es pas trompé. L’attirance était bien réciproque, troublante et déstabilisante. Malheureusement, la vie n’est jamais simple et les émotions peuvent aussi faire peur, alors souvent la raison prend le dessus…
Comme elle,il fut ému et troublé. Profondément troublé.
Il ne fallait peut-être pas inscrire le mot fin sur la derrière image de ce film qui n’était en fait qu’un court-métrage. Et juste des points de suspensions après le dernier mot au bas de la provisoire dernière page du scénario.
Mais au fond, à moins que le temps, dans sa grande clairvoyance ne leur prouve le contraire, ne venaient-ils pas de vivre une histoire d’amour suffisamment jolie pour ne pas prendre le risque de l’abimer?
Ainsi va la vie
Williams Franceschi
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Conseils de la semaine:
Cinéma: Curisa Film de Lou Jeunet
Blanche comme neige Film d'Anne Fontaine
Livre: Les facéties d'un homme heureux … Joëlle VINCENT … éditions Maxou…
Pour vous procurer ce livre: un mail à: joelle.vincent732@orange.fr ou au téléphone : 06 98 38 41 14 . après règlement vous l'aurez sous 48 h et peut-être même dédicacé…
Salon: Salon du livre Aix en Provence Hibooks de 10h a 17h30 Samedi 20 avril 2 rue Le Corbusier Bat Centraix Aix en Provence
Livre: La part de l'ombre … Laurel Geiss
Et avec un peu d'avance ….
Théâtre: En avant première le 17 et 18 Mai a 20h30
en attendant d'être jouée au festival d'Avignon en Juillet
A Ciel Ouvert avec Marion DUMAS et Franck BORDE
Théâtre Pixel Avignon 18 rue Guillaume Puy Avignon
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