Ainsi Va la Vie … épisode n°129 …Belle riche et célèbre Troisième partie : "Le MANUSCRIT"
Paris 25 ans plus tard. Cocktail mondain ou cocktail mondial, l’endroit où il est important, pour ne pas dire obligatoire, d’être vu et invité. Les portables, donc les selfies, n’existaient pas encore et les quelques photographes accrédités ne savaient plus où crépiter du flash.
Elle était là, princière dans sa longue robe de soirée bleue moulante, fendue jusqu’à mi-cuisse, qui allongeait plus encore ses jambes et sa silhouette. Son étole de cachemire tombant sur ses avant-bras soulignait le relief de son décolleté qui suscitait plus qu’il ne dévoilait. Sa coiffure, son maquillage, son port, son physique, sa ligne, sa présence, armés de ce regard qui caresse ou fustige donnait à sa beauté une touche sublime.
Elle était là, échangeant quelques mots de courtoisie, saluant, embrassant, répondant avec conviction ou légèreté à tous, assistée par cet immuable sourire éclatant à faire fondre les convertis autant que les récalcitrants. Elle était là, de dos.
Il était là, juste derrière elle, dos à dos. Face à d’autres convives qu’il écoutait ou feignait d’entendre se contentant d’acquiescer d’un hochement de tête ou d’un froncement de sourcils. Il ne rentrait dans aucunes conversations et comme elle, à grands renforts de sourires, donnait l’impression de les suivre avec assiduité.
Non, il était ailleurs. Mais avait-elle senti sa présence ?
Arrivé bien avant elle, il l’avait attendue dans son coin, discret, sans bouger comme la première fois. Puis il l’avait laissée se déplacer, remplir son rôle sans vrais obligations sinon celles que lui confèrent le rang d’invité vedette. Depuis son point d’observation il avait même pris un plaisir fou à l’observer ; disséquant ses moindres faits et gestes.
Profitant de l’arrivée d’un groupe d’invités qui obligeait à s’écarter sur son passage tout en resserrant les rangs il plaqua son dos contre le sien à la toucher. A la toucher très délicatement mais à la toucher. Et consciemment, à dresser un rempart protecteur de son corps. Cet affleurement ne fit naitre chez elle aucune réaction hostile. Elle déplia son coude, laissa descendre son bras le long de sa hanche et pendre sa main contre sa cuisse. Sans se retourner il lui saisit avec une infime délicatesse le bout des doigts. La dernière phalange de l’index, du majeur, et de l’annulaire. Elle aurait dû réagir, d’un sursaut, d’un retrait, d’un rejet, d’un mouvement de révulsion… Elle aurait dû ou pu elle n’en fit rien. Il lui caressa délicatement l’intérieur des doigts en remontant jusqu’à la paume puis à la naissance du poignet. Une caresse de plume. Elle se laissa faire. En plus des convives provisoirement agglutinés, son châle masquait leur jeu de mains.
Un court instant elle ferma les yeux. Avait-elle besoin ; de se concentrer pour ressentir encore plus profondément la chaleur qui lui traversait le corps, effleurait son épiderme et avait fait rosir ses pommettes ? Besoin de fermer les yeux pour reconnaitre ce geste unique qui s’imprimait sur le grain de sa peau comme une signature ? Avait-elle besoin de se focaliser ainsi en fermant les yeux au risque que les invités proches s’interrogent sur cette attitude. Non ! elle n’en avait pas besoin même 25 ans après. Elle avait juste besoin de réaliser, de vraiment y croire, de se convaincre de l’incroyable. Et que la preuve irréfutable de la présence de cet homme qu’elle avait tant aimé s’inscrivait sur ce message tactile. C’était lui ! Ça ne pouvait être personne d’autre que lui.
Elle aurait pu se retourner d’un coup et exprimer sa surprise, sa stupéfaction, sa joie, son bonheur. La situation qui l’avait tétanisée, tout à coup l’amusait. Elle ne retint pas son sourire éclatant en inversant la pince des pouces et c’est elle qui se saisit de ses doigts. Elle en caressa l’intérieur des premières phalanges du bout tranchant de ses ongles longs, avant de pénétrer sa pomme. Caresse féline, de la pointe de ses griffes, qui avertissait qu’elle pourrait réinvestir sa nature sauvage.
Elle avait dix fois, cent fois, mille fois imaginé et espéré cet instant mais jamais que la réalité rejoindrait l’espoir et en de telles circonstances. Elle en avait toujours rêvé sans convictions. Elle n’avait pas prévu non plus, que son cœur battrait aussi fort. Ni ces bouffées de chaleurs. Ni cette transpiration à la naissance des cheveux, ce nœud dans la gorge, ces papillons dans le ventre, cette montée d’adrénaline et cette angoisse. Le temps de redescendre sur terre ne dura pas quelques secondes mais de longues, deux ou trois, très longues minutes. Un temps interminable, seule immobile au milieu de ce parterre d’invités qu’elle regardait mais ne voyait plus.
Enfin elle se retourna. Si le mouvement de rotation sur elle-même et ce petit pas déhanché pour se positionner face à lui fut très rapide Tout deux vécurent ces mémorables images comme si elles s’étaient déroulées au ralenti, même en super ralenti. Ses mèches de cheveux qui s’enroulaient autour de son visage et lui masquaient les yeux, le front, le nez qu’elle dégagea de sa bouche d’un revers de mains. Ses yeux écarquillés ronds d’effarement. Ses paupières dont chaque battement semblait durer deux secondes entre l’ouverture et la fermeture où ses cils en ailes de papillon tamisaient la force de l’éclairage des images avant qu’elles ne lui pénètrent la rétine. Sa bouche muette qui ne se refermait plus. Ses deux mains qui se rejoignirent en prière devant ses lèvres avant de se décider à entrainer ses bras autour de son cou et d’y enfouir son visage entre l’épaule et le dessous de la mâchoire tandis qu’il la serrait fort très fort dans ses bras.
L’envie de l’embrasser profondément, longuement, ardemment, de lui manger la bouche en s’agrippant à ses épaules, puis en lui caressant la nuque tandis qu’il relâcherait l’étreinte de ses bras, même devant tout ce monde ne l’aurait pas dérangée ; elle en eut même follement envie.
Ils étaient là, face à face, immobiles ; plus rien ne les séparait sinon un silence, un vide. Aucuns souvenirs, aucuns gestes, aucunes images du passé ne vinrent troubler ce vide absolu. Leur visage d’hier ne vint pas se superposer à leur visage d’aujourd’hui pour mettre les différences en évidence. Elle le retrouvait. Elle se mordit la lèvre inférieure, pour y croire et pour s’empêcher de hurler. Elle le retrouvait.
Il brisa le silence par un :
- Bonjour !
Auquel elle ne répondit pas immédiatement les yeux aimantés sur son sourire avant de réagir en total décalage par un :
- Ho …. Oui !
- Ca va aller ?
Elle sourit sans répondre. Prisonnière de la bulle gonflée autour d’elle par ce choc émotionnel. Elle le fixait ébahie puis son sourire redessina sa bouche.
- Je n’en crois pas mes … j’ai du mal à… c’est toi ?
Avant qu’une interrogation ne tire ses traits vers le bas.
- Tu es juste de passage ?
- Non.
Elle n’osait pas en savoir plus. Il le comprit et plongea à son secours.
- Quelques jours c’est sûr. Plus d’un mois c’est à voir… après… l’avenir nous le dira.
- Nous ?
- C’est une expression.
- Oui, oui c’est vrai… c’est une expression.
Il regretta cette précision et rattrapa la balle au bond.
- Mais y’a parfois des expressions qu’il faut prendre au pied de la lettre !
Elle lui sera fortement le bras avant de le faire passer sous le sien ; d’abord comme la première fois pour ne pas rompre ce lien magique qui les unissait à nouveau, dont elle avait la sensation qu’un véritable flux d’énergie la traversait, l’élevait, la transformait et secundo pour l’entrainer vers un coin plus calme où ils discuteraient, sinon à l’abri des regards des bruits et du remous, du moins plus posément.
Il y avait moins d’une heure qu’ils s’étaient retrouvés et pourtant ils avaient déjà l’impression de ne jamais s’être quittés.
Durant leur intense discussion de retrouvaille elle en oublia d’honorer le reste des invités sinon d’un geste maladroit, d’une accolade forcée ou de sourires de complaisance. Plus rien ne lui importait plus que lui.
Enfin elle lui posa la question fatidique par laquelle elle aurait dû commencer.
- Mais qu’est-ce que tu es venu faire à Paris ?
Il prit le temps avant de lui répondre de l’admirer en détail des pieds à la tête, en affichant derrière son sourire un regard admiratif et gourmand.
- Je prépare un bouquin.
- Un roman ?
- Non, une biographie.
- Et sur qui ?
- Sur toi !
- Hoooo ! NOoooon
- Surprise ?
- Plutôt… Et flattée Il faut qu’on en parle je présume ?
- Tu présumes bien. Parce que je voudrais l’écrire à la première personne. C’est toi qui raconte, c’est moi qui écris.
- Et tu signes comment ?
- Je ne signe pas, je n’apparais pas. L’important c’est l’histoire pas l’auteur.
- C’est un peu de la triche.
- Pas du tout. L’essentiel c’est d’écrire la vérité, rien Que la vérité et que le lecteur te retrouve toi rien que toi.
- Tu es un homme de l’ombre… invisible.
- Je n’ai jamais cherché à briller sous les projecteurs. Par chance j’ai connu les deux, l’un plus modestement que l’autre ; et à tout choisir… La lumière m’éblouit… j’ai les yeux fragiles. Et dans le cas présent ma présence nuirait… et puis tu sais où je veux briller?
-Non
- Dans tes yeux.
Et ses yeux le dévoraient.
- C’est un travail de folie. Tu prévois d’avoir terminé quand ?
- J’ai terminé. Il me reste juste des détails à peaufiner avec toi… Sur la dernière période. celle ou tu n'as pas pu me raconter puisque nous n'étions plus ensemble ou j'ai travaillé sur documentations j'ai fait le tri mais ...
- Et je pourrais en lire… ?
- On se retrouve demain si tu veux ?
- Demain ?
Etait-ce l’impatience, le bonheur ou la surexcitation qui rosit ses pommettes et augmenta ses palpitations cardiaques. Battement qu’elle ressentit de la pointe des doigts à l'artère temporale ? Elle lui serra la main inconsciemment à lui faire mal. A croire qu’elle avait encore besoin de s’assurer de la réalité de sa présence avant de lui demander, en s’affublant d’une mine de chien battu, comme si ça favoriserait une réponse positive :
- Tu es libre ce soir ?... Aujourd’hui ? Tout à l’heure ?... Maintenant ? Tout de suite ?
Il faillit lui demander s’il lui arrivait de terminer ses phrases mais s’abstint.
- Oui !
Ce oui résonna dans sa tête comme une libération et la propulsa debout d’un bond.
- Alors faut qu’on se tire.
- Mais tu peux pas partir comme ça !
- Je vais me gêner. Ca fait deux heures que… et y’à toi qui… le champagne et juste juste… Je vais saluer vite fait les officiels… et puis on se casse par la porte de derrière.
- Quelle porte de derrière ?
- Y’a toujours une porte de derrière.
Elle lui confia son sac, traversa une partie de la longue salle jusqu’aux verrières, s’adressa à un couple qu’elle enlaça avant de leur chuchoter une importante, pour ne pas dire cruciale, confidence à l’oreille qui sentait le mensonge improvisé à dix mètres, formula une requête et s’éloigna en leur soufflant un discret baiser dans le creux de sa main. Sur le chemin du retour elle interrogea un serveur qui ponctua sa réponse de gestes directionnels. Enfin elle le rejoint presque aussi vite qu’elle l’avait quitté.
Sans plus d’informations elle se saisit de sa main en croisant ses doigts dans les siens, le tira d’abord en marchant presque sur la pointe des pieds, enchaina à grands pas et dès la première porte intérieure franchie ; retira ses talons, remonta sa robe jusqu’en haut de ses cuisses, lui posa un baiser sur les lèvres et l’entraina sans jamais le lâcher dans une course folle à travers un labyrinthe de couloirs avant d’atteindre, un rien essoufflée mais visiblement heureuse, la porte de l’espoir. Cette porte de derrière qui existe toujours, comme elle l’avait précisé, face à laquelle, après avoir sauté de joie en serrant les poings, puis en applaudissant, elle l’embrassa à nouveau avant de défroisser sa robe, rechausser ses escarpins et sortir sur le trottoir.
- Dis donc, t’as une pêche !
- T’as vu ? Je suis heureuse ! Tellement heureuse.
- Je vois.
- Tu crois que tu vois. Mais tu ne vois pas le dixième de ce que je ressens.
Elle lui saisit d’abord le visage à deux mains, l’embrassa une nouvelle fois puis empoigna sa main qu’elle plaqua contre son cœur.
- Tu sens ?... Tu entends ?
Comme la réaction ne lui sembla pas probante elle écarta un pan de son décolleté et glissa cette main chaude contre son sein qui ne l’était pas moins.
- Et là, tu sens ? Tu entends mieux ?
- Je sens, j’entends, mais je sens surtout que tu as froid. Tu trembles.
Il retira sa veste et lui en couvrit les épaules.
- Merci !
Et on va où comme ça ? Comme deux voleurs en cavale.
- On s’évade.
Elle venait de héler un taxi quand un couple s’approcha à quelques mètres. Visiblement ils avaient assisté de loin à la scène des mains dans le décolleté. Elle fit mine de ne pas les apercevoir, s’engouffra dans le taxi et hurla son adresse au chauffeur à la manière des supporters de foot qui sentent que le ballon est à deux doigts d’entrer dans les filets, puis le somma de démarrer vite.
- C’était qui les deux ?
- Elle, une vielle peau aigrie, qui fait couler son venin dans l’encre de journaux…. mais qui sont lus très lus malheureusement. Elle fait la pluie et le beau temps. Elle fait surtout la pluie.
- Et lui ?
- Connais pas. Mais pour être avec elle ça doit être une carpette.
Si elle avait déménagé pour un appartement plus grand et plus lumineux l’atmosphère feutrée qu’il avait connu 25 ans plus tôt était exactement la même. Il reconnut même ces odeurs indéfinissables qui n’appartenaient qu’à elle. Ce qui lui prouvait que contrairement aux idées reçues ; les gens sont souvent ce qu’ils montrent ou qu’ils ne montrent pas à tout le monde. Leur univers leur ressemble et ne ment pas. L’habitat fait le moine.
En entrant elle débrancha l’interphone et la prise du téléphone.
- Voilà, maintenant nous sommes tranquilles tous les trois.
- Tous les trois ?
- Toi, moi et ton livre. Qu’il posa sur la table du salon.
Juste 480 pages dactylographiées et pré-reliées avec en couverture une photo d’elle en noir et blanc prise au jardin du Luxembourg un dimanche matin ensoleillé.
Dès les premières pages elle s’extasia, lâchant de grands Ho !... Oui ! Et puis elle entra dans son histoire en silence.
- Mais c’est vrai ça !
Sans autre développement, elle s’essuya les yeux d’un revers de main avant de se saisir de la sienne.
- Ce que tu dis sur mon père; c’est exactement ce que j’aurais dit…
- Mais c’est exactement ce que tu m’en as dit.
- Et tu t’en es souvenu ?
- C’est presque maladif. Je me souviens de tout dans les moindres détails et encore plus quand j’aime.
Sur cet aveu elle se blottit dans ses bras son visage contre son visage où de lourdes larmes roulèrent de ses joues aux siennes.
- Décidément je pleure beaucoup avec toi.
- Pourtant.
- pourtant … mais ce sont des larmes de bonheur des sursauts d’émotion.
Plus je te lis plus je me retrouve. C’est extraordinaire. Mais tu te souviens vraiment de tout ?
De presque tout. Et absolument de tout ce que tu m’as raconté. J’entends encore tes intonations de voix comme si tu me parlais aujourd’hui. Mais aussi de ta robe de nuit, la première en soie à roses rouges, ton jean noir à dentelles blanches sur la couture, la boite ancienne de Banania sur l’étagère de la cuisine où tu stockais la menue monnaie. Des balades en forêt, des fantasmes que nous n’aurions peut-être pas du assouvir.
- Pourquoi ? Moi je m’en souviens aussi très bien et…
- Y’a des ascenseurs et des toits terrasses qui doivent s’en souvenir aussi.
- Et des barques à l’envers sur la plage ?
- Et des pieds sous la table… où tu m’avais piqué ma chaussure et ma chaussette
- Mais je l’avais remplacée par ma culotte… et c’était pas…
- … celle que tu portais je sais. Et tu crois que s’ils avaient vu ce slip, rouge en plus, accroché à mes orteils ils auraient fait la différence entre un rechange piqué dans ton sac … et l’original ?
- C’était rigolo !
- Pour qui ?
Et ils éclatèrent de ce rire communicatif qui n’avait pas changé d’un son, d’une note, d’un soupir.
- Beu… pour moi !...L’amour et le risque, y’avait au moins dix personnes autour de la table.
- Non ! Douze… mais heureusement personne dessous même pas le chien. Ca je vais le rajouter dans ta bio …
- NOoooon !
- Siiiiiiiiii… un peu de piment affriolant dans le récit non ?…
- Non ! Pas ça
- Pas ça pas ça ! On verra
- Greeeeee !!!
- Et ta bague !
- Ma bague ?
- La bague que tu avais glissée dans ma sacoche quand je suis parti avec un petit mot.
- Ah ! Oui.
- Un petit mot sur lequel tu avais écrit…
Il sortit un papier de la contre-poche de sa veste protégé par un cellophane, le déplia méticuleusement et lui lut :
- Garde-là. Vend- là. Elle te sera plus utile qu’a moi. Je t’aime, je t’ai tant aimé.
Elle m’a bien aidé dans les moments difficiles. 14 grammes d’or plus la pierre.
- T’as bien fait de la vendre.
- Dans les moments difficiles comme tu l’avais prévu Elle m’a aidé à avoir la force de résister à la tentation. Mais aujourd’hui ces temps sont loin. On n’est jamais sûr de rien mais je serais étonné qu’ils reviennent avec la même âpreté. Alors, je garde ton petit papier, qui a pour moi une valeur inestimable et après un long voyage d’amour…
Il ouvrit sa main à plat et dans l’écrin de sa paume le bijou jaune et bleu scintillait de tout son éclat.
- Tu l’as gardé !?…. C’est émouvant. Tu peux pas savoir comme c'est émouvant. Sa main qui masquait sa bouche voulu, hésita et s’arrêta en cours de geste pour revenir sur sa bouche.
- Elle est toujours aussi belle.
- Comme toi.
Il prit sa main et lui glissa au doigt.
Je te la rends. En partant avec moi elle ne t’avait jamais quittée.
-Tu sais quoi ? Je vais laisser la lecture. Ca me passionne mais je m’y remettrais demain. Et là, tout de suite, tu sais de quoi j’ai envie ?
- Je m’en doute. Mais dis toujours.
- J’ai honte. Mais si je me souviens bien tu m’avais dit qu’il fallait vivre l’instant ? vivre aujourd’hui sans penser à demain ?
- Oui et alors ?
- J’ai envie de pates.
- Avant ou après ?
- Après et donc peut-être avant la suite.
La porte de la chambre fut franchie plus vite que prévu. Et loin dans la nuit les pâtes, tout aussi succulentes que dans son souvenir les entraina vers de longues suites. Mais avant, lovés dans la douce lumière des lampes de chevets où les yeux dans les yeux, la bouche, les lèvres, dans le même souffle chaud à quelque millimètre, tout doucement ils se mirent à parler.
- Tu n’as pas changé.
- En apparence. L’effet clair-obscur sur la peau adoucit. Je m’en cache pas ; j’ai rencontré de très bons chirurgiens.
- Toi ! tu as bien vieilli.
- Faut le dire vite. Les abdos en tablettes de chocolat ont fondu au soleil. Je me suis épaissi.
- Tu es sécurisant
- Le félin est devenu ours.
- Un nounours… confortable.
- Bien sur… bien sur..
- Toujours le même sourire, le même regard. La même manière d’écouter, de comprendre, de compatir, de répondre aux questions qu’on n’ose pas te poser
- Je suis tout ça moi ?
- Tout ça et tant d’autres choses que je retrouve aujourd’hui et…
- Et toi ? Ces phrases que tu ne finis jamais. Ces rires que tu provoques. Cette finesse dans tes discussions. L’intelligence dans tes réactions… la douceur cette douceur…
- Oui !
- Y’a bien sur ce regard, ces yeux, ces jambes ; exactement les mêmes. La douceur de ta voix, de ta peau et l’odeur…. je devrais dire le parfum de ta peau. Cette grâce quand tu marches, cette classe quand tu te déplaces. J’arrête je pourrais en dérouler un parchemin.
Long silence… jeux de regards.. Caresses de plume… sourires
- Et depuis nous, sentimentalement ?
- 25 ans ça fait un bail ! J’ai vécu. J’ai beaucoup et bien vécu mais j’ai pas décroché le gros lot.
- L’as-tu cherché ?
- Pas sûr… et toi ?
- Y’a eu avant et après toi. Un extraterrestre sans âge plus jeune que moi et qui me fait découvrir la vie… et l’amour. C’est à la fois merveilleux et pas simple.
- Nos histoires se ressemblent. Un peu beaucoup…
- Passionnément à la folie.
- Et ton mariage ? C’est sur ces parties qu’il faut qu’on peaufine ta bio. Je sais tout ou presque mais j'ignore l'essentiel.
- Mon mariage ?... On se croirait dans la chanson d’Aznavour «Non je n’ai rien oublié». Mon mariage c’était un coup de pub de la production… je te fais un dessin.
- Non je m’en doutais mais…
- Et toi ? Par contre je t’ai vu en photo au bras de superbes créatures.
- C’est plutôt elles qui étaient à mon bras mais rarement très rarement.
- Les sirènes ?... Menteur !
- Non les photos. Je suis d’un naturel discret surtout quand ça n’apporte rien.
- Mais les sirènes dis-donc !
- Ca fait toujours de jolies photos. Mais tu sais ce qu’on dit des sirènes ; elles font naufrager les marins les plus téméraires.
- Et alors ?
- J’ai toujours levé l’ancre avant la noyade.
- Tu penses un jour écrire notre histoire ?
- Je l’effleure dans ta bio. Mais non !
- Pourquoi non ?
Devant son regard triste et sa moue dépitée il rectifia :
- Ou alors dans très très longtemps sous forme de nouvelles et sans citer ni ton nom ni le mien.
Ainsi Va la Vie…
Williams Franceschi
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