Alain DECAUX… Une de mes plus belles rencontres….
Alain Decaux, que je savais immortel bien avant qu’il ne porte l’habit vert, a rejoint Jacques Le Goff, Jean Lacouture, andré castelot, et quelques autres dans ce cercle restreint des grands historiens qui ont su dépoussiérer l’histoire bien avant l’heure pour la rendre accessible à tous, grâce à la modernité de leur approche et des médias employés. Une vulgarisation qui s’est souvent faites sous la critique acerbe de l’ordre établi et de certains de leurs pairs ; hostiles et austères.
C’est grâce à la complicité d’Isabelle sa fille, alors attachée de presse des Editions Perrin, que ce lundi printanier de 1983, un magnétophone sous un bras et faute de technicien disponible, Pascaline sous l’autre en guise d’aide de camp indispensable, que je me retrouvais devant la porte de sa superbe villa accrochée à la falaise et donnant sur la mer à St Jean Cap Ferrat.
C’est le maître lui-même qui nous accueillit, souriant et gêné, s’excusant du désordre provoqué par quelques travaux en cours. C’était l’une de mes premières interviewes à la fois pour la radio et pour mon journal et devant cette pointure, je l’avoue, je balisais un peu... J’avais passé une partie de la nuit à préparer mes questions et surtout, en dehors d’une formulation travaillée à la virgule et l’intonation près, qui me permettrait de me démarquer, je savais par cœur tout ou presque sur le personnage et son environnement, artistique politique ou amical.
Nous venions de nous installer dans le salon, dont une des fenêtres donnait sur un horizon de carte postale, éclairé par un soleil radieux qui accentuait sur le fil des vagues cette ligne entre la mer et le ciel, quand le premier ennui technique survint ; il n’y avait pas de courant dans les prises. Ennuyé mais réactif, Alain Decaux nous expliqua que c’était toujours la faute des travaux en cours et qu’on allait s’installer dans son bureau… et là, en sentant son bras entourer mes épaules pour me guider dans le couloir, comme un vieux camarade, tout en m’appelant par mon prénom et en y rajoutant quelques éclats de rires pour se moquer de la situation, je devinais, sans besoin de miroir, que j’étais passé du rouge à l’écarlate. Et Pascaline, qui me suivait avec le magnétophone oublia d’en débrancher le fil. La suite c’est que dans sa course elle arracha non pas la prise male mais le boitier complet qu’elle descella du mur… Elle était confuse et son visage, plus encore que le mien, atteignit en une fraction de seconde le rouge incandescent. Et c’est là que le personnage fut encore plus étonnant qu’il n’y paraissait déjà. Il débrancha le fil de la prise qui pendouillait hors de son trou, débarrassa Pascaline du magnéto et conclut : « Et en plus que ça marche pas… c’est mal fixé… ».
La suite fut un délice. Dès la première question Alain Decaux entra dans la peau, la voix et la gestuelle de son propre personnage. J’aurais presque pu me pincer pour y croire. Il répondait à toutes mes questions sans hésiter, sans lésiner, sans retenues, expliquant, exposant, justifiant tel ou tel fait. Quelque soit le sujet ; l’encyclopédie humaine savait et connaissait tout sur tout dans les moindres détails affinant une raison un lieu ou déclinant la listes des noms des intervenants dans des tel ou tels fait… c’était plus que passionnant. J’étais envouté. Pour sortir des sentiers battus, j’osais lui parler de Guy Montagné son imitateur le plus connu. Et là, quel bonheur, il se mit à imiter son imitateur, en y rajoutant des grimaces pour nous prouver que ça l’amusait. Il répondait, s’attardait, me confiait comme un secret d’état ses réflexions sur des erreurs et des aberrations. J'avais du mal a imaginer que je n’étais pas devant l’écran de ma télé, mais en direct, en vrai, c’était magique… et ce fut magique durant une heure et demi.
Contrairement à certains artistes dont je confirme parfois qu’ils sont exactement comme vous les imaginez ; là ce fut bien diffèrent. Alain Decaux l’homme était cent fois mieux que je ne l’imaginais. Quant à l’historien je n’ose pas vous dire.
En le quittant, avec Pascaline nous n’échangeâmes aucuns commentaires, justes quelques expressions du visage, quelques regards significatifs. Et puis, après quelques kilomètres nous fîmes une halte en bordure de route. Juste le temps de réaliser et de faire le point sur l’heure et demi historique que nous venions de vivre.
Plus tard, sa fille Isabelle me fit savoir qu’il avait beaucoup apprécié cet entretien, ce qu’il me confirma par écrit après avoir lu mon article. Quel honneur! Trente et quelques années plus tard j'en garde encore un souvenir ému.
Merci monsieur Alain Decaux…
Williams Franceschi
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