Ainsi va la vie… épisode n°84... A QUOI TU PENSES ?
Je regardais la mer et les effets argentés que le soleil tissait sur le plat des vagues.
A quoi tu penses ?
Cette interrogation qui semblait venir de nulle part avait crevé ma bulle et bruissait dans ma tête comme la sonnerie sourde d’un réveil électronique avec ses druuuum !... druuuuum !... répétitifs qui vous réveillent en douceur tout en vous laissant dans le doute du rêve ou de la réalité.
A quoi tu penses ?
Cette question banale, à cet instant précis, me parut indiscrète. J’aurais pu répondre par politesse mais je me contentais d’un sourire. Avais-je envie de dévoiler la vérité ? Pas sûr ! Pas sûr du tout. Et comme je n’aime pas mentir… A vrai dire je pensais à plusieurs choses à la fois et en permanence un visage se superposait aux photos de cartes postales que ce soleil et cette mer m’envoyaient.
Je trouve de la beauté en tout dans cette nature qui nous entoure ; le pourpre d’une feuille de vigne dans la lumière du matin, le scintillement d’une cascade, les pierres d’une vieille maison perdue dans la campagne, le travail d’une abeille sur une fleur, les muscles d’un cheval au galop, le sourire de cette dame au visage buriné, les couleurs et le velours des roses… je ne suis indifférent à rien.
Et aujourd’hui, à l’instant précis où cette voix m’interrogeait je pensais en images et ce visage comme un leitmotiv s’y incrustait presque irréel. Voilà à quoi je pensais... peut-être ou entres autres.
A quoi tu penses ?
Nous étions en repérage pour le tournage d’un clip. J’avais étalé devant moi les pages du script. Quinze pages pour une chanson de trois minutes trente-huit et des dizaines d’annotations, renvois et ratures manuscrites pour n’oublier aucun détail. On aurait tourné un cinquante-deux minutes que je n’en aurais pas gribouillé plus.
Ecrire une musique de film c’est mettre des notes sur des images. Écrire un clip c’est caler des images sur une musique et des mots. Presque l’inverse.
Dans un silence imperturbable malgré le bruit pétillant du ressac sur les rochers, j’entendais la montée de batterie et j’imaginais que le ta ta ta ta ! Ta !ta ta ! Tam ! Débuterait sur ces rouleaux de vagues pour glisser jusqu’à ce véliplanchiste en plein effort avant que dans un fondu-enchaîné un goéland en gros plan, ailes grandes ouvertes, ne plane dans l’espace d’un ciel torturé. Preuve que sur le fond rien n’est jamais vraiment simple malgré les apparences du premier plan. J’aime jouer sur le subliminal. Et les mots : «Mais si …Mais si …Ta vie commençait aujourd’hui » appel d’espoir et de liberté que le chanteur prononçait sur plus de six secondes devaient tomber sur ces images pour qu’elles appuient la liberté en pleine accession par la force du sportif avant sa victoire à grands coups d’efforts face aux éléments puis la liberté enfin acquise et savourée dans sa plénitude à travers le vol majestueux de cet oiseau s’appuyant sur les courants porteurs, libre de tout.
Trois minutes trente-huit qui m’avaient couté plusieurs jours de travail auxquels venaient de s’ajouter trois nuits blanches dans l’urgence… et je sentais, comme si la voix d’un Jiminy Cricket prévoyant et perfectionniste me le soufflait gentiment mais fermement au creux de l’oreille, qu’il restait encore des bricoles à peaufiner.
Je pensais à tout ça ou plutôt j’y réfléchissais comme un peintre pose une dernière touche sur une toile qu’il croyait pourtant définitivement aboutie quelques heures auparavant.
Dans la préparation j’en étais à cette touche finale qui pourrait paraître futile aux yeux de beaucoup si elle ne se révélait le plus souvent essentielle.
Après il faudra que je disparaisse totalement. Mon travail ne doit pas se voir. Ni efforts ni facilités. Seul le résultat compte. Qu’importe pour le spectateur comment et par qui on y est parvenu. L’important c’est qu’il soit transporté, en harmonie, qu’il ressente quelque chose qu’il ne saura pas définir.
Qu’il soit ému, amusé ou traversé par la chanson est une chose mais qu’il adhère au clip sans même s’en rendre compte en est une autre.
Il est des chansons qui n’ont pas besoin de ce petit film. Voir Brel vibrer seul derrière son micro sur un fond de scène noir suffit amplement. Qu’il nous chante « Jeff » ou « Les vieux amants » le chef-œuvre nous transcende par lui-même. Car au fond cette prise de vue en noir et blanc est un clip. Un clip réduit à son strict minimum mais un clip quand même. D’ailleurs était-il besoin de rajouter qu’à ce niveau de talent qu’il n’y a pas besoin d’autre chose.
Mais depuis quelques décennies maintenant le clip est devenu un élément incontournable et certains sont à eux-seuls de véritables merveilles. Pour l’instant et aujourd’hui on n’en était pas là et si tout était écrit, on en était juste à un projet et des repérages.
A quoi tu penses ?
Par une voix intérieure je me répétais inconsciemment cette question .
A rien ! Juste aux images qui défilent devant moi. A tout ce qu’elles recèlent de beau et d’impalpable. Je pense juste à l’ instant que je vis sans autre projection que de savourer le présent.
Immobile ou mouvante la nature est belle. J’en oubliais un court instant totalement les raisons de ma présence dans cet endroit béni des dieux. Et pourtant très vite, mais sans perdre un milligramme du plaisir contemplatif qui me nourrissait, mon esprit reprit le chemin du but précis qui m’avait conduit sur cette côte bleue.
Dans ma tête et sur le papier ce film de trois minutes trente-huit était déjà tourné mis en boite et étiqueté. Il ne me restait plus qu’à transposer tout ça de l’imaginaire au réel. Le réel se résumant uniquement aux heures du tournage où tout est vrai. Car une fois les images recueillies on n’est déjà retourné dans le virtuel. On n’a pas mis le décor et les acteurs dans la boite, juste leurs images. C’est ça la magie du cinéma ; immortaliser.
J’ai déjà réalisé plusieurs clips c’est toujours une aventure enrichissante. Le premier c’était en 1989. La chanson « Highlander » un magnifique souvenir. Aujourd’hui la chanson s’intitule « Mauvais éclairage » un blues que l’on aurait pu imaginer dans une atmosphère bleu-nuit urbaine et froide... J’y avais pensé et une partie ce développera dans cet univers mais la chanson est aussi chargée d’espoir.
Mauvais éclairage
Sur cœur en naufrage
Dans le miroir d’un café noir…
Une ombre chinoise
Caresse ton visage
En contre-jour
Sur cœur trop lourd
Mais si… mais si
Ta vie commençait aujourd’hui…..
Et oui, il suffirait qu’ils se rencontrent pour que deux cœurs n’en forment plus qu’un.
A quoi je pensais le jour où j’ai écrit ces paroles et cette musique ? Dans quel état d’esprit étais-je pour écrire un truc pareil ? Pourquoi ai-je posé ce sax qui pleure ou appuie ce sentiment de solitude et d’envie d’en sortir ? A posteriori, je ne me suis jamais posé la question.
Mais mon esprit enivré par de ce vent de la mer qui me fait maintenant frissonner, mon esprit divague. Je suis à une encablure d’une personne que j’aimerais revoir. Je rêve que par le plus grand des hasards... Mais partageons nous la même envie ?
Le jour commence à décliner. Ici les couchers de soleil sont d’un autre monde. Lorsque je publierai ces lignes, peut-être osera-t-elle m’avouer que si elle avait su… Peut-être qu’elle aussi au même instant regardait l’horizon ? Le même horizon, juste depuis un autre rivage.
Ainsi va la vie
(A suivre…)
Williams Franceschi
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