Ainsi va la vie... épisode n° 149... AMOUR, PASSION et DOUTES
Pourquoi Sam arrivait-il en jean, blazer et néanmoins cravate fut-elle desserrée sur un col ouvert, ce lundi sous les néons de sa banque ? Pourquoi avait-il zappé ce costume trois pièces qu’il portait depuis des lustres comme une seconde peau ?
Belle métamorphose que ce look classe mais cependant cool de chez cool en total déphasage avec sa fonction.
Si certains regards rasants furent plus explicites que de persiflantes réflexions, à part quelques sourires en coin et encore visage retourné, personne n’osa s’aventurer sur le chemin des questions explicatives, ni s’appesantir sur les raisons exactes de ce brusque changement.
Seule sa hiérarchie aurait pu moufter une quelconque désapprobation. Sauf que la seule personne au-dessus de lui était bien trop préoccupée par les affaires courantes pour se soucier des apparences vestimentaire du personnel en général et de son bras droit en particulier.
Sans nous remémorer en détails les évènements du samedi, qui a travers un visage, une voix, un regard, une femme, la dédicace d’un roman et une carte de visite laissée en garde-page comme un appel à suivre, bouscula son cœur et chavira son esprit, repassons-nous en Replay le film de la veille.
Ce dimanche à la maison, dans son cadre idyllique, lui parut interminable. Pour la première fois depuis une éternité, pour peu que cette période inquantifiable se mesure, il n’avait rien su faire de son corps, de ses mains et encore moins de ses pensées, perturbées par l’image obsessionnelle de cette femme dont le visage, le sourire, le regard et la moindre expression apparaissaient sur l’écran de ses paupières aussitôt qu’il les refermait et dont la musique de la voix se mêlait par touches douces et irréelles aux discussions croisées de Claire sa femme, des amis venus leur rendre visite, de son beau-père, dont il ne pipait plus la moindre syllabe et du rire des enfants.
Pris dans ce brouhaha sourd et informe il acquiesçait de hochements de tête et approuvait par froncements de sourcils mécaniques à des développements dont il n’avait que faire et surtout rien saisi. Au point, dans sa navigation solitaire, à l’aveugle et en pleine brume, d’abonder régulièrement dans des sens totalement contraires à ses opinions.
Non, il n’était pas là. Visible mais dématérialisé. Juste ailleurs. Et personne à part lui ne pouvait imaginer où.
Après le repas dominical, consommé dans la plus pure tradition familiale et en attendant sur la terrasse le sacrosaint café ; le regard dans le vague Sam rêvait-il ? Ou n’en donnait-il que l’impression ?
Le café embaumait la cuisine et ses effluves en s’évadant par la fenêtre ouverte enrobaient les convives, entrainant dans leurs sillages les harmonies lointaines des gros Gloup ! Gloup ! De la cafetière à l’agonie sur les dernières gouttes mais encore courageuse.
Bercé par cette musique, à la fois sourde et pointue, qui tempérait l’impatience des Aficionados invétérés du petit noir estampillé pur arabica ; Sam, silencieux, au-delà de ses songes, observait et s’imprégnait de l’instant. Cet instant qu’il mémorisait profondément avant qu’il n’en subsiste plus qu’un souvenir. Un souvenir heureux qu’il se remémorera un jour peut-être, avec regret ou nostalgie.
Les Gloup ! Gloup ! Lointains, comme le balancier d’une vieille comtoise rythme le bien-être du temps qui passe et semble le suspendre dans sa plénitude, imprimait en lui ce moment avec une infini précision.
S’il survolait en vue d’ensemble ce microcosme si familier, il se focalisa avec plus d’acuité sur des scènes et des éléments qui marquaient une époque où la durée dans le temps. Comme ce rosier devenu aujourd’hui immense, ce garage qu’il avait construit ces arbres qu’ils avaient plantés au début de leur installation. Et dans ce paysage vivant, digne des pinceaux d’un grand maitre, Claire, sa femme, alanguie sur son transat, feuilletant un magasine tout en écoutant sa sœur, d’une oreille faussement attentive, lui parler de leurs projets de vacances et de la réfection de sa cuisine.
Quand les phrases interminables de la frangine rencontrèrent un point temporairement final, Claire se replanta les branches de ses grosses lunettes de soleil en serre-tête et reprit sa lecture. Elle mit de l’ordre aux pans de sa robe légère remontée jusqu’aux cuisses pour profiter sans risque de la chaleur et des vitamines D naturelles d’un soleil au zénith, alors que son image de trois-quarts arrière, traversée par une kyrielle de rais de lumière éblouissante aurait mérité une photo faute d’entrer dans un tableau.
Pourquoi se sentait-il tout à coup étranger malgré lui à ce qui constituait jusqu’à hier l’essentiel de son existence ? Etranger à cet univers qu’il avait désiré, dessiné et construit ?
Claire si belle, si jolie, si attachante, si sensible si intelligente, si proche de lui dans tous les sens et depuis si longtemps.
Ils ne découvraient pas aujourd’hui toutes ses qualités ni ses infimes défauts qu’il adorait en secret.
Il ne découvrait pas les lignes parfaites de son corps si méthodiquement entretenues par respect d’elle-même mais aussi pour lui. Pour lui plaire telle qu’elle lui avait plu. Lui plaire. Lui plaire en palliant aux affres du temps et des grossesses.
Il ne découvrait pas, et c’était là peut-être le plus important, cette fabuleuse complicité. Une complicité qui pouvait s’étendre de simples regards échangés pour se comprendre et communiquer sans besoin d’user de mots inutiles dans la promiscuité d’une soirée, d’un repas, autour d’une table de réunion, dans la vie de tous les jours, sur des questions sensibles ou de banales futilités en passant par les secrets de leur intimité sexuelle. Oui une fabuleuse complicité et complémentarité.
Elle avait toujours cherché à lui plaire, à le comprendre et à partager le meilleur comme le reste. Elle l’aimait. Que pouvait-il lui reprocher ? Rien ! Justement rien.
Il se reposa la question qu’il ne s’était plus posé depuis in aeternam. Qu’avait-elle bien pu lui trouver ? Lui qui ne s’était jamais plu.
Aujourd’hui, troublé, ébloui, subjugué par une apparition improbable ; son regard ses sentiments avaient-ils changés ? Malgré toute sa grâce son charme et tout ce qu’il venait de se résumer en diagonale ; l’aimait-il encore ? L’aimait-il toujours ? L’aimait-il autant ?
L’amour aussi beau, aussi grand, aussi fort soit-il subit-il une usure, une érosion ? Oui, évidement. Il se posait bêtement une question dont il connaissait parfaitement la réponse en y rajoutant : Même une certaine lassitude. Et pourtant, au plus profond de lui-même il l’aimait.
Alors ? Devait-il se traiter de salop ? Culpabiliser? Réagir ou rester dans le déni ?
Devait-il inverser les rôles et imaginer comment il réagirait si elle, se trouvait dans son cas ?
Devait-il réfléchir aux conséquences et se mentir ? Faire semblant ? Semblant de n’avoir rien ressenti ? Se dire les mots qu’il aurait pu lui dire pour la convaincre et la retenir dans le cas inverse? Admettre l’erreur et redevenir raisonnable.
Il aurait voulu ne penser qu’à lui mais il ne pouvait pas. En la regardant évoluer, sourire, lui envoyer un signe de main depuis son transat à quelques mètres de lui, impossible de l’ignorer, de rester froid, distant et statique sur sa position.
Elle lui était même vitale. Pouvait-il imaginer sa vie sans elle ? Et s’imaginait-il lui-même exclut de cet univers qu’ils avaient construit ensemble et dont il savait gentiment se moquer quand le cadre exigu de la famille parfaite l’enfermait dans cette image traditionnelle et conventionnelle quelque peu restrictive limite caricaturale.
Il avait beau tout passer en revue ; ce visage continuait à tourner dans sa tête. Il ne connaissait rien de ce qui l’attirait chez elle à part cette mystérieuse attirance.
Pouvait-il se jeter dans le vide juste à cause d’un sourire, d’une voix, d’un visage ? Juste à cause d’un attrait magique et magnétique ?
Avait-il peur ? Avait-il la trouille ? Il aurait aimé. Il se dit que s’il avait peur, ce serait une preuve d’équilibre.
Sam se laissa caresser le visage par un léger vent chaud soufflé de nulle part et distraire par le chant d’un oiseau intrepide avant de revenir poser son regard sur cet univers dans sa pose bonheur. Et, comme si elle déchirait le rideau qui séparait Sam des acteurs qu’il observait, la voix de son beau-père le ramena brusquement et sans égards dans la réalité immédiate de cette comédie humaine.
– Alors Sam, le boulot ?
Le boulot ?... Comme si j’avais gardé la moquette du bureau collée aux basquets !
– Et Nicole ?... Elle nous boude ?
Répondre à une question par une question pour éviter une réponse.
- Non ! Elle marche. Elle est partie ce matin en groupe randonner je sais plus où avec des copines et peut-être un amant caché jeta-t-il comme si impossible était redevenu français.
Sam sourit. Le coup de l’amant, derrière l’effet escompté par son humour lourd et permanent était tellement improbable. Tout aussi improbable que les frissons qui s’immisçaient entre les poils et la peau des avant-bras de Sam en pensant, simplement en pensant, au visage de cette femme flottant dans un flou vaporeux.
Le silence des : Gloup ! Gloup ! Précéda de peu l’apparition des tasses, sous-tasses, sucrier et toute la panoplie qui se répartit à vitesse grand V orchestrés par le cliquetis des petites cuillères. Sam en profita pour récupérer sur la table-basse du salon le roman acheté la veille et en y extirpa la carte de visite, qui en débordant de la tranche, donnait l’impression que les pages moqueuses lui tiraient la langue.
Après avoir tourné, retourné, lu, relu et observé sous toutes ses coutures ce précieux petit rectangle ; aux vertus magique d’un sésame, il le sentit en espérant que par chance, le parfum de ses doigts ait pu s’y déposer et peut-être y rester imprégner. Mais non. Juste une odeur sans odeur de papier glacé qualité photo.
Aux vues de tous, sans discrétion aucune, tant le geste aujourd’hui est devenu banal et son impolitesse agréée par les mœurs, il éclaira son Smartphone. Mais avant même qu’il n’entame une quelconque recherche ou ne poste le moindre mot sa boite mail lui indiqua l’apparition d’un message... Il n’eut pas le temps de faire souffrir sa curiosité puisque le nom qui signait le bas du texte sur son écran était justement celui qu’il allait composer.
Ils effectuaient donc la même démarche l’un vers l’autre dans la même seconde. Le hasard d’une telle simultanéité n’est pas rare mais pouvait-on parler de hasard ?
Cette relation épistolaire aurait pu ne durer que l’espace de quelques aller-retour courtois si chaque jour, avec une impatience non dissimulée, Sam n’avait espéré avec la fièvre d’un ado, découvrir les quelques lignes qui lui étaient adressées comme un cadeau, avant d’y répondre comme un baiser soufflé dans le creux de sa main.
Il aurait pu y répondre avec fougue et empressement ; laissant aller le sang bouillant qui lui brulait les veines. Mais, fruit de la sagesse et presque à contrecœur, c’est avec calme et recul qu’il formulait ses réponses. Il diluait sa spontanéité et perdait en fraicheur et jeunesse ce qu’il gagnait en sincérité à travers des mots justes, murement réfléchis.
Ce petit bonheur par petits messages interposés était-il aussi doux à découvrir de l’autre côté que du sien ? Y aurait-il une vraie suite ? Se reverraient-ils? Vivraient-ils une histoire d’amour commencée comme un rêve l’espace d’un jour, d’une nuit, d’une semaine… Ou ne seront-ils à tout jamais, l’un pour l’autre, qu’un sublime Fantasme ?
Avant que les réponses n’éclosent sous un soleil qu’on attend parfois plus, à moins d’être brulées par un gel inattendu, elles restent en bourgeons.
Ainsi Va la vie….
Williams Franceschi
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Conseils de la semaine:
Cinéma: Curisa film de Lou Jeunet
Livre: Les facéties d'un homme heureux … Joëlle VINCENT … éditions Maxou…
Pour vous procurer ce livre: un mail à: joelle.vincent732@orange.fr ou au téléphone : 06 98 38 41 14 . après règlement vous l'aurez sous 48 h et peut-être même dédicacé…
Salon: Salon du livre Aix en Provence Hibooks de 10h a 17h30 Samedi 20 avril 2 rue Le Corbusier Bat Centraix Aix en Provence
Livre: La part de l'ombre … Laurel Geiss
Et avec un peu d'avance ….
Théâtre: En avant première le 17 et 18 Mai a 20h30
en attendant d'être jouée au festival d'Avignon en Juillet
A Ciel Ouvert avec Marion DUMAS et Franck BORDE
Théâtre Pixel Avignon 18 rue Guillaume Puy
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