Ainsi Va la vie… épisode n° 283… L’homme qui ressentait !...
La nuit fut longue très longue et parallèlement très courte en sommeil tant il s’était réveillé souvent, trop souvent, comme s’il avait cherché à égrainer des heures interminables.
Les yeux ouverts à contempler les lueurs de la nuit sur le plafond ou le visage enfoui dans les plis du traversin, Il l’avait sentie soucieuse, nerveuse, triste, déstabilisée. Il savait précisément ce qui lui arrivait puisqu’il vivait le même passage… Il savait, et pourtant l’espace qui séparait leurs lits, qui semblait n’en former qu’un, mesurait plusieurs centaines de kilomètres. Des kilomètres qui n’existaient plus tant il la sentait toute proche, presque à la toucher, à entendre son souffle chaud glisser sur l’ourlet de ses lèvres. Etre si loin et se sentir si près…
Etait-ce des ondes, qui le reliaient à elle ?... Avait-il un don qu’elle ignorait ? Ou même plusieurs, et de prémonition en particulier ?
Un don ?...Tout avait commencé dès la prime enfance. Sauf qu’à cet âge-là, il ne s’interrogeait pas sur les sensations qui le traversaient. Tout ça lui paraissait si naturel qu’il s’imaginait que tous les enfants ressentaient exactement la même chose. Néanmoins, un doute inconscient ou la peur du ridicule l’empêcha longtemps d’en parler, et plus encore de se confier lorsque ses pressentiments se révélaient exacts.
Et puis, avec le temps, comme une maladie dont on cherche à cerner les symptômes, il s’interrogea. Il s’interrogea jusqu’à étudier sérieusement le phénomène. Il sentait, ressentait, pressentait, mais se refusait à toutes conclusions plus ou moins farfelus. Non, si ce genre de capacité avait existé et si en plus il avait pu en bénéficier ça lui aurait certainement permis d’éviter une quantité inquantifiable de galères. Non, il n’y croyait pas. C’était juste de l’intuition.
Il n’y croyait pas. Bien sûr, il sentait, ressentait, deviner souvent, mais tout ça ne faisait pas de lui un medium ou un devin. Aux quelques rares amis qu’il avait mis dans la confidence du bout des lèvres, il disait :
– C’est juste de la psychologie ! Juste faire attention aux autres. Savoir ou essayer de lire dans leurs silences, leurs regards, leurs attitudes. Ne pas confondre un chagrin et un état de tristesse, une douleur profonde et un bobo. Savoir écouter avant de se lancer dans des analyses. Savoir écouter. D’ailleurs on peut décrypter tant de choses sur une personne en observant l’état de ses mains, la rondeur de ses gestes ou l’agressivité d’un mouvement de la tête ou des yeux. Oui, c’est juste de la psychologie et un certain sens logique de la déduction.
Ce don extrasensoriel il ne voulait pas y croire et il ne se l’expliquait pas. Ou si, justement, il se disait qu’il y avait certainement des explications rationnelles et scientifiques.
Cette propension à observer les autres jusqu’à les cataloguer, si elle remontait à son enfance, au fil des années elle s’était affinée, au point que bien souvent, par des chemins détournés et tout en douceur, il osait mettre en garde ses amis de dangers ou au contraire de flatter avec certitude la sincérité ou la pureté de gens malencontreusement mis en disgrâce ou trop peu en lumière.
Ce sentiment de pressentir toutes conclusions logiques et parfois catastrophiques lui faisait peur. Peur de croire que ce qu’il sentait se réaliserait et tant de fois, dieu qu’il aurait aimé se tromper. Malheureusement le plus souvent, il ne se trompait pas.
Il développait rarement, pour ne pas dire jamais, ses ressentis sauf de les mêler à des conversations des plus banales comme un point de vue... Et puis un jour, dérogeant à ses habitudes, en s’adressant à une amie qui semblait boire comme de l’eau de source les propos et les attitudes d’un prétendant au demeurant parfait, il lui lança, au risque qu’elle se fâche ou qu’elle imagine une quelconque jalousie sous-jacente, il lui lança :
– Il te ment ! Cet homme te ment en tout. Ce n’est pas toi qu’il convoite c’est entre autre ton carnet d’adresse. Non seulement c’est un opportuniste mais en plus il est dangereux très dangereux. Avait-il le droit de l’informer d’un ressenti sans preuves probantes ? Il faillit, mais ne regretta pas de s’être laissé aller, même si leur amitié en prit un coup, un très grand coup. Au point qu’elle ne lui adressa plus la parole durant des mois. Des mois au bout desquels elle revint vers lui penaude. Il avait eu raison. Et si elle avait vécu un début de romance idyllique, sans jamais oublié sa mise en garde qui l’avait marquée, elle lui permit d’arrêter les frais avant une chute vertigineuse et irrémédiable. Ouf ! Leur amitié n’en devint que plus solide grâce ou à cause de cette épreuve.
Ses prémonitions ne relevaient pas de prédictions. Loin de lui l’idée de jouer les Nostradamus de province à la petite semaine. Longtemps, ces avertissements inexplicables, qui d’après lui ne résultaient que de son sens aigüe de l’observation, se cantonnèrent à son entourage immédiat, professionnel ou privé, et presque jamais à lui-même. Jamais à lui-même sauf !...
Sauf, quand un autre phénomène apparut. A des kilomètres et sans communiquer, il ressentait l’état général et surtout psychologique ou moral de certaines personnes. Ce nouveau phénomène aurait pu ne pas le concerner directement et c’est ce qu’il crut. Mais si ces informations n’étaient que succinctes lorsque la personne n’était qu’une simple relation elles devenaient plus vives pour des personnes plus proches et prenaient des proportions d’une intensité démesurée lorsque une intimité, surtout amoureuse, même non aboutie, s’y était immiscée.
Ce jour-là, Apres une après-midi studieuse, passionnante et épuisante qui lui fit oublier la notion du temps, Il enregistra son travail, éteint l’écran de son ordinateur, poussa un long soupir, retira ses lunettes, se pinça le haut du nez en fermant les yeux, resta un long moment immobile, l’air désabusé, presque vautré au fond de son fauteuil, mal accoudé, une main contre sa joue et l’index plié sur le fil de sa lèvre inférieure, derrière un regard pensif.
Il songea un court instant à la vieille Remington puis à l’IBM à boule sur lesquelles il avait autrefois travaillé et sourit, en regardant son ordinateur, à la fantastique évolution de la technologie dont il avait été le témoin et l’usager.
Elle était belle cette Remington noire avec son coté écrivain d’un autre siècle digne d’Agatha Christie ou Ernest Hemingway au plus fort de leur créativité, mais que belle… belle pour des photos rétros dignes des couvertures de romans, parce que pour le reste, il fallait avoir les doigts musclés et le poignet alerte.
En se levant, le reflet de la vitre de la fenêtre lui renvoya sa propre image mêlée en fond, au paysage, dans une douce lumière de fin d’après-midi de printemps. Elle devait, au même instant, à quelques détails près, exécuter les mêmes mouvements, dans la même chorégraphie sur les presque mêmes gestes. Et au même instant, où il pensait à elle, elle devait pensait à lui. Lui le savait. Elle, ne s’en doutait pas. A maintes reprises, ce jour-là, mais les autres jours aussi depuis quelque temps déjà, alors qu’il aurait dû se focaliser exclusivement sur son travail il pensait à elle. A son monde, son univers, et à l’intrusion qu’il avait faite, peut-être maladroitement, dans sa vie. Il pensa à la distance qui les séparaient et à toutes les raisons qui les empêchaient et les empêcheraient de se rapprocher.
En quittant son bureau, il rencontra un vieux copain qui comme tous les bons vieux copains s’imaginent qu’on est obligé de leur confier tout ce qui fait qu’on a la tête qu’on a, le jour où ils nous croisent et plus encore s’ils sont convaincus d'avoir deviné ce qu’on semble leur cacher. Mais ce jour-là, plutôt que de chercher un quelconque faux fuyant, à la question :
– Ho toi…T’as rencontré quelqu’un ? Il glissa sa réponse en l’appuyant d’un regard de glace qui devint de braise sur un sourire:
– Non! Mais je suis amoureux ! Eperdument amoureux.
– Waouh ! Et elle ?
Sans plus d’explications, sur un clin d’œil et un signe de la main il poursuivit son chemin avant de se retourner pour répondre :
– Elle ? Elle le découvre… Et elle, ne s’y attendait pas.
– Que tu sois amoureux ?
– De l’être aussi … je présume.
– Et alors ?
– Alors je vais disparaitre… sans faire de bruits… comme je suis apparu… sur la pointe des pieds…
– Ho… c’est dommage !
– Tu te souviens du film "Sur la route de Madison" ?
– Bien sûr.
– Ça y ressemble un peu ou beaucoup… C’est un amour impossible. Et comme tous les amours impossibles… il ne s’éteindra jamais.
Sur cette jolie, mais vaguement triste conclusion, leurs échanges se réduisirent au silence des regards.
– Ouais !... ben tu sais, si j’étais toi, je changerais la fin du film. D’abord, t’es pas photographe… et elle; c’est pas Meryl Streep… alors rien ne t’oblige a suivre jusqu'au bout le scénario à la lettre.
Les yeux pétillants de malice, il lui tapa sur l’épaule et rajouta comme une évidence:
– T’as p’t-être raison …
Ainsi va la Vie…
Williams Franceschi
Pub................................Pub................................................pub.........................................................................PUB
A découvrir aussi
- Ainsi va la vie... Épisode n°57… MOURIR d’AIMER ou VIVRE SON AMOUR
- Ainsi va la vie… épisode n°80… La VIE devant ELLES
- Ainsi Va la Vie… épisode n°267… Et un jour j’ai rencontré un prince…
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 196 autres membres