Ainsi Va la Vie... Episode n° 184 ... Se réveiller dans la peau d’un autre
– Et de quoi tu vas nous parler cette semaine ?..
– Ben ?….
– Ben quoi ben ? T’as écrit plein plein de choses … jolies, mais un peu tristes, faut le reconnaitre.
– Mais non !
– Meuh si ! Surtout ce long texte sur : Les rendez-vous manqués… Waouh ! Que c’est beau ! Mais c’est tellement… émouvant que…
– C’est pas un texte pour la chronique. C’est un chapitre de mon prochain roman.
– Dommage. Ça leur aurait plu à tes lectrices. « Toutes ces fleurs dont on n'a su garder que le parfum » comme tu dis.
– On a tous des regrets sur des rendez-vous manqués, ma petite fée. Parce que la vie nous a entrainés trop vite et trop loin et qu’on n’a parfois pas su regarder l’essentiel. Un coup de foudre qu’on ne s’avouera pas parce qu’il arrive trop tard. Parce que dix ans plus tôt tout aurait été diffèrent. Mais on n’est pas dix ans plus tôt. Parce qu’on ne veut ni blesser ni faire souffrir alors on fait semblant qu’il ne s’est rien passé, qu’on ne ressent rien. On baisse les yeux avant qu’ils ne la dévorent et qu’on ne puisse plus en guérir.
– Tu vois moa… Ca me touche !
– Je m’en doute
– Donc, tu veux pas en parler de ce texte.
– Si, mais ce n’est pas le sujet de la chronique.
– Tu sais, j’ai relu un texte que tu as écrit y’a trois ans environs je peux le publier ?
– Si tu veux.
– Ca s’intitule :
Se réveiller dans la peau d’un autre
Cinq heures. D’une main malhabile au bout d’un bras engourdi j’essaie, après avoir tâtonné méthodiquement mais en vain, d’attraper sur la table de nuit encombrée de livres, l’instrument de torture qui me brise les tympans et crisse en échos dans ma tête.
J’étais dans un beau rêve. Un très beau rêve et puis, en une fraction de seconde, l’infernale sonnerie a totalement dévoré les bobines du film qui s’étaient projetées dans mon esprit.
Mince ! Comme d’hab je ne me souviens plus de rien ou presque. Je me frotte les yeux. J'ai du mal à parfaitement situer les aiguilles sur le cadran. Cinq heures ! C’est très tôt. Très tôt pour « tout le monde ». Mais j’ai dû quitter ce « tout le monde » depuis belles lurettes puisque c’est l’heure précise où ma journée commence. Et depuis toujours me semble-t-il. J’ai dû naitre à cinq heures, je vérifierai.
Pourtant ce matin j’ai l’impression d’un trop tôt, vraiment trop tôt. Mais non, les aiguilles sont catégoriques ; il est bien cinq heures. Cinq heures Paris s’éveille mais je m’en fous j’habite en province.
Je chausse une pantoufle. Le mauvais pied bien sûr, en attendant d’aller explorer le dessous du lit pour repêcher la seconde. Ce dessous de lit qui me faisait si peur quand j’étais petit au point de sauter du lit le plus loin possible sur les carreaux pour éviter de poser les pieds trop près de ce trou noir par crainte que la main d’un de ces monstres qui y séjournaient la nuit, ne m’attrape la cheville. Un expert en la matière m’enverra certainement une explication freudienne sur ce comportement (en message privé).
Donc, je récupère ma deuxième charentaise et je file en claudiquant vers la salle de bain. Il en est ainsi tous les matins. Pour vous aussi ? Non ! Vous passez d’abord par… moi aussi. Mais ils sont aussi dans la salle de bain. Dans l’ordre exact, je trouvais un peu fastidieux de vous raconter tout mon périple matinal par le menu détail, mais puisqu’on y est… après je me lave les mains, ensuite je les remplis d’eau froide pour m’asperger le visage et ensuite seulement je me brosse les dents… Voilà, nous n’avons plus de secrets.
A peine entré dans ce paradis de la propreté corporelle, pris de remords je fais machine-arrière et me traine d’un pas lent et mou vers la cuisine pour appuyer sur le bouton de la machine à café théoriquement automatique mais que je n’ai jamais su programmer. Bercé par les gros Gloup ! Gloup des gouttes qui remplissent laborieusement et en souffrance la verseuse ; je somnole debout quand tout à coup…
Mes yeux s’écarquillent ! Je n’ai pas reçu une décharge de 10000 volts pour me réveiller mais ça y ressemble. Quand j’étais dans la salle de bain… J’y retourne en courant. Quand j’étais dans la salle de bain les miroirs… Je me caresse le dessus du crâne. Qu’est-ce que j’ai sur la tête ? Je me frotte les yeux pour revoir ce que je crois avoir vu.
Incroyable ! Sur la tête ; j’ai… des cheveux. Je tire légèrement sur cette lourde épaisseur capillaire pour décalotter cette perruque tombée de je ne sais où. Mais elle résiste. Elle est bien collée. Mais non. Je reconnais cette mèche en accroche-cœur sur mon front qui ne voulait jamais suivre les ordres de mon peigne. C’est bien des cheveux, des vrais, les miens. Moi qui m’étais presque habitué à cette calvitie tardive, me voilà à nouveau avec cette épaisse tignasse châtain. Je reste statufier la main au-dessus de la tête. L’image que me renvoie le miroir est stupéfiante.
Mon visage. Pas de barbe. Et mes rides ? Presque plus aucuns sillons profonds ; marques du temps et des épreuves. Je me caresse d’abord les joues avant de suivre du bout des doigts cette réparation magique des affres du temps. Que s’est-il passé ? Les rondeurs du visage se sont évaporées pour laisser réapparaitre cette mâchoire carré qui me donnait un air dur qui plaisait aux dames et que je détestais tant il était en désaccord avec mon caractère, quoi que a cette âge-là je n’étais pas facile.
J’ai du mal à réaliser la métamorphose. Je me tape sur les joues en fermant les paupières pour me réveiller. C’est sur y’a un truc qui cloche. Enfin Je me cache les yeux derrière les mains puis les ouvre lentement comme deux volets pour voir si tout est revenu comme avant, si ce phénomène n’était que provisoire. Mais non, rien ne change ; j’ai le physique et le visage de mes trente ans a quelques années près.
Mon corps a trente ans mais pas mon esprit. Hier j’ai peaufiné une chanson qui traitait du sujet. Le titre : « Si je pouvais revenir en arrière ». Les premiers vers :
Si je pouvais revenir en arrière
Refaire le parcours, sachant ce que je sais….
Je dois rêver sous l’influence de mon texte car je ne suis pas revenu en arrière. Enfin oui et non enfin, je n’en sais rien.
J’allume la radio. En quelle année sommes-nous ? Malheureusement l’animateur palabre et ne m’informe pas. Je retourne dans la cuisine. J’y récupère mon portable. Avant de l’allumer j’en déduis que je ne suis pas revenu faire un tour dans le passé parce que simplement dans les années 80 les portables n’existaient pas. Juste de gros machins dans les voitures pour frimeurs qui coutaient un bras ; et même cette expression n’existait pas encore.
Autour de moi la maison que j’observe est bien la mienne. La mienne d’aujourd’hui avec cette cuisine en semi-chantier que je suis en train de réaménager. Ce n’est pas un rêve, ni un cauchemar. Juste un truc étrange, très étrange. Si je rêve c’est un rêve super réaliste ; on s’y croirait. Mais non je ne rêve pas c’est juste une histoire de fou.
Une idée calme ce vent de panique que j’essaie de maitriser. Une idée que j’aurais dû avoir avant. Le café embaume l’espace, je retourne dans la chambre. Quelqu’un dort, allongé à coté de ma place. Sur la pointe des pieds je contourne le lit pour découvrir son visage. Avant que je l’atteigne elle se réveille,me sourit sans ouvrir les yeux et d’une voix ensommeillée grave et douce elle me lance :
Bonjour chéri !... Bien dormi ? Tout en me soufflant un baiser du bout des lèvres.
Son expression lui donne un air mutin. Je connais ce visage mais ce n’est pas… sous la finesse du drap qui ne recouvre qu’en partie ses épaules et laisse apparaitre ses jambes jusqu’au milieu du dos les lignes de son corps me font penser presque à haute voix : « Qu’est-ce qu’elle est belle… » Et puis presque dans la foulée « Mais d’où elle sort celle-là ? » J’avoue que mon interrogation est un peu brut de pomme. Elle ouvre les yeux et me tend les bras. Je m’approche d’elle comme si je succombais elle m’enlace et me fait basculer. Dans mon état je ne suis enclin ni aux gros ni aux petits câlins aussi presque inconnue et jolie soit-elle.
- Excuse-moi, ça va te paraître bizarre mais j’ai une petite crise d’amnésie ou plutôt un gros trou d’ozone dans le gruyère.
- Ca m’étonnerait; t’as une mémoire d’éléphant…
- Ben pas ce matin ! Dis-moi… toi et moi ?...
- Oui moi et toi ?.... Elle dort à moitié et semble ne pas me prendre du tout au sérieux
-Y’a longtemps qu’on est ensemble ?
- Oui et non
- Et cette nuit ? On a ?…
- Fait l’Amour?
- Cette nuit... enfin surtout hier soir...
- NOoooon !...
- Si..iiiiii !
Ho merde ! C’est pas possible. j’ai l’âge de son père… elle est magnifique mais j’ai l’âge de son… Enfin j’avais… J'avais mais dans ma tête j'ai toujours l'âge de mon corps d'avant ....Ça pourrait être ma fi…
Je me dégage de ses bras et cours vers la chambre de mon fils. Elle est vide. Putain ! Je m’en fous d’avoir ma gueule d’avant, des cheveux et plus de rides. Mais mon fils! Ma vie d’avant… Apres m’être cogné le front contre le dormant de sa porte, triste je retourne m’allonger.
Les yeux ouverts je réfléchis. Non, j’essaie de réfléchir en observant ce plafond que je connais par cœur. Et puis, sous le coup de l’émotion je m’évanouis ou simplement je m’endors un long ou un court instant? Je n’en sais rien. Tout à coup le réveil sonne. Je ne cherche pas à l’atteindre ni à l’éteindre d’une main malhabile. J’ouvre simplement les yeux. Il poursuit son tintamarre et je reprends où je l’avais laissé ma contemplation du plafond que je connais par cœur. D’un bon ou d’un sursaut je m’assois sur le bord du lit. Je cherche mes lunettes posées la veille au soir dans le bouquin en cours faute de marque-pages, mais elles n’y sont pas. Je me saisis de ce réveil de malheur pour constater à l’œil nu qu’il indique encore et toujours; cinq heures. J’en stoppe la sonnerie. J’ai un léger passage à vide.
Je me souviens de tout ce qui s’est passé, il y a quelques minutes me semble-t-il, lors de mon premier réveil. Je me souviens de tout dans les moindres détails et surtout que les aiguilles m’indiquaient déjà cinq heures.
J’ai l’impression de jouer ou de vivre un remake du film « Un jour sans fin » sauf que mon titre à moi serait plutôt : « Un réveil sans fin ». Je voudrais y voir plus clair malheureusement ma machine à analyses rame à l’allumage. Je jette un œil furtif vers ma compagne de lit ; elle s’est tournée et ne laisse apparaître qu’une forme informe sous la couverture qu’elle a tirée sur elle.
Se réveiller avec trente ans de moins mais sans être remonté dans le temps, en ayant cet âge aujourd’hui n’est pas simple. Si l’apparence physique est flatteuse l’esprit est ailleurs. Je pense à mon fils et à la femme que j'aime disparu dans les abysses du temps. Je pense à cette masse de souvenirs qui n’ont pas lieu d’exister mais qui pourtant remontent en permanence. Je pense… Un ami m’avait dit un jour que j’avais eu mille vies et que si, à leurs rythmes, certaines personnes avaient seulement vécu 25% de ce que j’avais vécu il seraient centenaires.
Passer de la soixantaine à la trentaine en un coup de baguette magique est-ce vraiment une chance ? A cet instant là non. Tout le monde en rêve et moi je le vis assez mal.
Je sors enfin de ce moment de flou. Et si ?...Je me précipite vers la chambre de mon fils. La porte est fermée. Je pose la main sur la poignée mais j’hésite. Une phrase sortie bizarrement d’un conte que je lui racontais petit me traverse l’esprit : « Tire la chevillette, la bobinette cherra » en d’autres termes tourne la poignée et la porte s’ouvrira. Elle s’ouvre, j’entre et j’appuis sur l’interrupteur : la pièce s’éclaire.
- Davy !?
D’une voix qui grommelle plus qu’elle ne parle il me répond :
- S’te plait Papa ! Éteint la lumière… S’te plait papa … je dors !
Mon cœur bat la chamade. J’ai envie de rire et de me moquer de moi-même.
Et passant par la salle de bain je retrouve dans le miroir mon visage d’aujourd’hui et sur le lavabo mes lunettes. Ces lunettes que j’avais pourtant bien laissées la veille en guise de marque-pages dans mon livre sur le chevet. Ça c’est étrange terriblement étrange. Je perds mon sourire. Je crains de retourner me coucher et d’entendre à nouveau le réveil sonner pour m’indiquer Cinq heures.
Le reste de la journée se déroulera comme d’habitude. Se réveiller dans la peau d’un autre même si cet autre c’est soi-même…
Mais peut-être n’était-ce qu’un rêve ?
Ainsi va la vie
(A suivre…)
Williams Franceschi
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