Ainsi va la vie…épisode n° 110 Le "PREMIER GRAND AMOUR"
Le livre d’une vie s’écrit chaque jour ligne après ligne, page après page. Heureusement l’encre de beaucoup de ces pages pâlira plus vite que prévu. Pâlira au point de presque entièrement disparaitre ne laissant que des traces illisibles dans le grain du papier. Ce livre que nous écrivons bien malgré nous serait-il magique dans sa capacité de mettre en lumière ou de totalement oublier. Mais notre livre n’oublie jamais rien ; il occulte provisoirement.
Il occulte parfois des douleurs, des joies, des contextes ou des situations et bien souvent des images qu’il n’a pas lieu de camoufler même temporairement allez savoir ? Allez savoir ce qui incite et stimule ce système aléatoire.
Et puis un jour sans raisons apparentes, aux hasards de circonstances qui agissent comme un révélateur nous repensons à une époque, à un chapitre, à une période et nous nous arrêtons presque surpris sur un passage avant de nous laisser aller à fermer les yeux pour ne visionner en détails qu’une seule scène. Une très belle scène. Une scène inoubliable. Inoubliable et que nous avions pourtant bien enfouie. Car ce livre dont nous poursuivons chaque jour l’écriture n’est en fait qu’un long scénario dont nous sommes simultanément auteur, réalisateur, metteur en scène, et l’un des acteurs principaux.
Ce soir-là, qu’est-ce qui m’a ramené tant d’années en arrière ? Une discussion passéiste sur ce que les personnes que nous avons connues adolescents avaient pu devenir? Un débordement sur le ou les premiers amours qui... ? Oui, ce devait être ça. Les premiers amours et les autres d’ailleurs. La vie ne s’arrête pas à 15 ou 18ans.
Mes amours. Qu’ils furent longs,courts, passionnels ou d’un soir. D’un simple baiser ou passionnément charnel qu’ils aient été chargés d’un peu ou d’énormément d’amour aucun ne fut jamais futile et sans importance. Meme si quelque fois l’air goguenard je joue l’indifférence et laisse croire dans quelques cas que ce fut simplement sympathique et heureusement sans lendemains mais peut-on tout dévoiler? Mais il y a des amours avec un grand A qui ont évidemment beaucoup plus compté que d’autres.
Les grands Amours ! Qu’est-ce qui a fait la différence ? Qui pousse les cœurs à battre différemment. Elles n’étaient pas obligatoirement les plus belles, quoi que quelques fois si ! Qu’elles aient été au sommet de leurs gloire ou sur le banc de touche l’étincelle qui transforme une simple belle Histoire en un amour inoubliable est si mystérieuse.
Quand se rend-on compte de l’immensité d’un amour ? Bien souvent quand il est trop tard. C’est le poids de l’absence, la profondeur des blessures, le vide qui nous entoure, l’impossibilité de se projeter dans le futur sans elle, sans lui… cette douleur qui nous brule jour et nuit et cette multitude de petites séquelles que son absence a provoquée, provoque et provoquera encore au détour d’un évènement, d’une évocation, de la maladresse verbale d’une amie. Oui le plus souvent on se rend compte de cette force qui nous unissait parce qu’il n’est plus là et qu’on est en état de manque.
Parfois, pas besoin d’attendre d’en arriver à la perte et au manque pour être conscient qu’on vit quelque chose d’exceptionnel. Qu’il naisse d’un coup de foudre ou peu à peu comme un arbre grandit et prend force et racines on sait qu’on vit ou qu’on a vécu quelque chose de grand. D’ailleurs on s’y accroche tellement c’est beau. Que pouvait-il nous arriver de mieux et que cet amour dure toute une vie.
Parfois il dure quelques mois, quelques années et l’on se dit ; que ça ne nous arrivera plus jamais. Comme il ne faut pas toujours dire toujours il ne faut jamais dire jamais.
On peut aider le destin, avoir des gouts particuliers, des préférences, des valeurs, penser en se regardant dans la glace qu’on n’est pas encore has been, prendre de superbes résolutions mais...
On ne choisit pas l’amour c’est l’amour qui nous choisit…
Je ne vais pas tout vous raconter ce serait long et risquerait d’être fastidieux. Mais je me souviens de tout dans les moindres détails.
Elle s’appelait...à quoi bon ? Je m’en souviens si bien. Mais elle, se souvient-elle encore de moi? Je présume. Sans tomber dans la nostalgie, laissons tourner la boite aux souvenirs… et revoyons deux belles séquences du film.
Première séquence: La rencontre
17 heures fin des cours. J’avais horreur de me mêler à la foule des élèves qui se bousculaient dans ce goulot étroit qui menait vers les portes de sortie du bahut. Je laissais passer observant du haut des escaliers cette cohue pressée, bruyante, vivante et désordonnée. Je perdais quelques minutes en attendant que le flot se calme. Et ce soir là, juste à l’ instant où j’allais me donner le top départ, une élève que je connaissais peu ou mal, et qui elle accusait un retard involontaire vers les portes de la liberté s’arrêta à ma hauteur et me dit un peu essoufflée :
- T’as pas vu ma sœur ?...
- Je ne connais pas ta sœur.
-Elle devait venir me chercher et … ha ! Elle est là
En effet elle était là, un peu essoufflée elle aussi souriante au bas des escaliers. Et avant que les deux sœurs ne se retrouvent nos regards se croisèrent. Juste nos regards. Il faisait un froid sibérien et la sœur en attente engoncée dans un épais et long manteau de laine ne laissait visible de son anatomie que l’ovale de son visage et ses cheveux bouclées. Il me fut impossible de deviner si sous cet accoutrement informe elle était corpulente ou anorexique. Mais quel visage !
Avant de s’éloigner les deux frangines échangèrent quelques mots. Je compris sans décodeur que je devais en être le principal sujet. Jusque-là ma petite histoire peut vous paraitre d’une banalité affligeante sauf que…
Sauf que ; ce visage aurait attiré beaucoup de regards sans besoin de rajouter un quelconque maquillage à sa beauté naturelle. Sauf que ; le lendemain alors que l’image de ce visage et l’éclat de ses yeux avaient hanté ma nuit, sa sœur m’aborda dès mon arrivée dans l’établissement et avec l’abrupte délicatesse qui lui était coutumière me lança :
- Elle te plait ma sœur ?
Boum ! Comment aurais-je pu lui dire non ? Mais je me contentais de lui répondre par un froncement de sourcils et un sourire dont l’expression ne cachait aucune ambiguïté.
- Et bien c’est parfait ! Parce que toi aussi tu lui plais !
On ne pouvait pas être plus clair. Abrupt mais clair.
Je découvrirai bien vite le reste du corps qui se cachait sous le manteau. Et il me fera écrire un jour ; que lorsque dieu créa la femme il se fendit pour couronner sa réussite de quelques chefs-d’œuvre… dont elle faisait partie.
Mais si tout ne s’était arrêté qu’au physique… Il se trouve que le contenant valait le contenu. Elle cumulait. Douceur, gentillesse, intelligence, générosité et j’en passe : Une perle …Une perle rare
Une perle rare pour un apprenti artiste vaguement Bad-boy.
Seconde séquence : Un jour inoubliable
Le car qui nous ramenait vers Toulon après une merveilleuse, croyez-moi le qualificatif n’est pas excessif, merveilleuse journée de tournage dans le massif des Maures, s’arrêta le temps d’une pose sur le bord de la route en pleine campagne provençale. Une pose qui devait juste nous laisser le temps de nous dégourdir les jambes et d’assurer quelques besoins moins poétiques mais naturellement obligatoires.
Devant nous, à perte de vue sous un soleil encore très haut d’immenses champs de blé qui, affleurés par un mistral léger, ondulaient leurs longues chevelures blondes.
Sur notre droite, en marge de l’avant du car, un autre champ d’herbes hautes, sauvages déjà jaunie par un soleil brulant, clairsemé de bleuets, de pâquerettes et de coquelicots glissait en pente douce vers un vallon ombragé par des chênes séculaires.
Je lui avais pris la main pour franchir d’un saut synchronisé le fossé qui séparait le bord du car de cet espace de liberté. Cette main que je tenais serrée, augmentait la pression sur mes doigts dès qu’elle sentait le moindre relâchement. Cette petite main chaude et douce s’était ancrée dans la mienne qui se voulait tendre malgré les calles et les rugosités laissés par les outils, le ciment et les pierres, que j’essayais vainement d’atténuer les jours de sortie à grand coup de crème Nivea. Les mains ne mentent jamais sur les vraies conditions de chacun, présentes ou passées. Et à cet instant, nos deux corps liés par les cinq cordons de nos doigts à nos bras ne formaient plus qu’un.
Nous ne cherchions, voulions et pouvions vivre l’un sans l’autre. L’un sans l’autre et pourtant séparés en permanence. Séparés par des parents rigoureux et sévères dans un contexte social compliqué digne de romans sombres d’un autre siècle.
Livrés à nous même dans ce champ sauvage qui nous ressemblait, nous avons couru, couru à perdre haleine, entrainés et poussés dans la pente par le poids de nos corps. Une fuite en avant en perte d’équilibre constante que nous rattrapions et sauvions de la chute en accélérant la vitesse de nos foulées.
Nous étions deux enfants. Deux enfants au soleil loin de nous préoccuper du reste du groupe, du lieu et du temps. Nous étions jeunes et beaux, beaux et fous et surtout tout à coup seuls au monde. Seuls et libres. Libres et heureux. Heureux et follement amoureux. Amoureux au point de ne plus se questionner, s’interroger, douter, même la jalousie ne nous effleurait pas, d’ailleurs ce mot appartenait-il à notre vocabulaire ? Je ne crois pas. Nous étions faits l’un pour l’autre. On courait et elle riait. Je devais rire aussi, je ne m’en souviens plus. Mon cerveau enregistrait méticuleusement toutes ses images comme s’il avait fallu précieusement les garder et les préserver de tout à tout jamais. Des images si belles, si incroyablement belles.
Nous courions sans penser ni chercher à nous libérer de l’attache de l’autre, jusqu’à ce que nos pieds ne s’emmêlent dans de longues tiges puis de hautes herbes et ne nous offrent par leurs pièges une fantastique chute ou de roulades en roulades comme par miracle nous nous retrouvâmes serrés dans les bras l’un de l’autre pour rouler encore toujours enlacés sans jamais cesser de rire. Rire encore et encore ; rire à en pleurer. En pleurer d’amour et de joie. Si je ne devais garder du bonheur qu’une seule image ce serait peut-être celle-là. Le bonheur à gorge déployée. Le bonheur d’être deux. Le bonheur d’être amoureux. Aimer c’est tellement beau et bon. Mais être amoureux c’est tellement plus.
Et puis, quand nos gorges eurent retrouvé le calme, le vert et le bleu de nos yeux se mêlèrent pour ne former qu’une seule couleur profonde et intense.
Nos yeux se noyaient dans nos yeux avant que nos lèvres chaudes ne se rejoignent, ne se caressent, ne s’effleurent et ne se dévorent, pour traduire par la fougue, la tendresse et l’allégresse tout ce qui s’était échangé dans nos regards avant que nos paupières ne se ferment. Tout ce qui s’était échangé, avant que nos bouches et nos langues n’en transmettent la force et le plaisir et ne fassent chavirer nos esprits. Avant que nos corps bouillants ne s’expriment plus qu’à travers les vibrations brulantes de nos baisers profonds et interminables qui nous semblaient trop courts. D’ailleurs prenions-nous le temps de respirer avant de recommencer ? Respire-t-on autre chose que l’amour quand on aime ?
Il y a des instants simples et magiques où le temps s’immobilise. Si le cœur n’est qu’un organe à qui l’on voue des facultés qu’il n’a pas. Ce jour-là les nôtres battaient si fort, si fort. Leurs tempos rapides et sourds reflétaient exactement la force et la vérité de nos sentiments.
Cette fabuleuse tempête de bonheur dans son tourbillon nous avait enivrés. Et maintenant nos corps alanguis dans l’herbe, sa joue contre ma poitrine, mes doigts dans ses cheveux défaits, accusaient le contrecoup et retrouvaient un calme apparent.
Elle était tellement jolie. Tellement jolie. Je la dévorais des yeux et je m’interrogeais. Méritais-je une aussi jolie fille ? Elle était tellement jolie qu’une autre crainte me traversa l’esprit ; mais avant que j’ai pu poser une quelconque réponse au bout de mes questions elle me murmura comme un aveu :
- Tu es beau, tellement beau que j’ai toujours peur de te perdre…
Moi qui doutais de tout et surtout de moi, à cet instant son compliment aurait dû me rassurer et pourtant je lui répondis gêné :
-N’importe quoi !… avant d’éclater de rire et elle de rajouter :
-En plus j’adore ton rire ! ».
Aurait-elle pu imaginer qu’au même instant, dans la même seconde les mêmes craintes nous traversaient?... et que c’est cette simultanéité qui avait provoqué mon rire.
Je me souviens du bleu de ce ciel traversé de fin nuages déchirés par les courants et des rais de soleil qui s’infiltraient à travers les branches des arbres qui nous dominaient. Je me souviens de la chaleur de sa nuque et de sa main dans mon cou. Je me souviens de cette odeur d’herbe sèche et du parfum léger de sa transpiration. Et puis, je me souviens qu’en me tournant ; je m’aperçus qu’une larme, une larme qui avait dû succéder à quelques autres en toute discrétion, une larme qu’elle essuya d’un revers de main pour en minimiser la teneur avant que je ne l’interroge, perlait le long de sa joue entrainant dans son sillage une longue trace de rimmel dilué comme un filet d’aquarelle.
A la question que je n’eus pas le temps de poser avec des mots mais qu’elle sut lire dans mon regard elle répondit :
- Je suis heureuse ! Mais je sais qu’en rentrant nous nous séparerons… et que nous serons encore seuls chacun de notre côté…
Le silence succéda au silence. Elle n’avait pas seulement raison elle était lucide. Alors avant de se promettre qu’un jour…et de raisonner au présent dans le vide, mes mains sous son chemisier devinrent plus que caressantes pour accompagner ma bouche à retrouver sa bouche.
Nous étions deux enfants et déjà un homme et une femme. Le reste de nos corps auraient bien joué avec le feu qui les brulait, mais le terrible klaxon du car sans âme ni complaisance nous rappela où nous étions et qu’il fallait rejoindre la troupe au plus vite…
La suite durera deux ans. Et son souvenir immuable subsiste encore quarante-cinq ans plus tard.
Ainsi Va la Vie
(A suivre…)
Williams Franceschi
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2) Musique: La nuit du blues en Français le 30 Mai Le new Morning Paris
3) Théâtre: Quelque part dans la vie avec Emmanuelle DEVOS...Pierre ARDITTI
4) Chanson française: Lionel LANGLAIS Bateau-Théâtre Le Nez Rouge a 20h jusqu'au 18 mai
5) Théâtre: BABY avec Isabelle CARRE... Bruno SOLO ... Théâtre de l'Atelier Paris
6) Expo Photo: Véronique DELCLOS Regard en Inde Carry le Rouet (13) jusqu'au 1er Mai
7) Livre jeunesse: Jean-Philippe Arrou-Vignod Un petit pois pour six, Une famille aux petits oignons l'integrale1 et l'intégrale 2
8) One woman show: Laura LAUNE Le diable est une gentille petite fille à partir du 1er Juin à la Comédie de Paris
9) Salon du livre: Lire à Limoges le 27/28/29 Avril Evelyne DRESS dédicacera ses romans dont le dernier "La Maison de Pétichet" à Limoges
10) Chanson française: ADDIE concert Piano/voix les 26/27/28 Théatre Les Argonautes (13) Marseille
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