Ainsi Va la Vie... épisode n° 281 ... Un souffle d'Amour...
On peut avoir presque tout oublié du reste, mais l’on se souvient toujours du temps qu’il faisait ce jour-là. Un temps gris au ciel bas sous un soleil caché qui en forçant sa luminosité à travers cette toile grise l’obligeait, en regardant le paysage à travers les carreaux, à froncer des paupières. Un temps à se blottir au chaud entre les bras d’un fauteuil moelleux, couvert d’un plaid, pour s’immerger dans un bon livre. Un temps à perdre son temps à regarder une émission de télé sans intérêt, à s’éparpiller devant l’écran de son ordi, ou même, à dérouler des news d’une banalité affligeante sur son potable. Un temps maussade. Un temps presque triste qui avait déteint sur son état d’âme.
Il ne pensait à rien. Si ! Il pensait à elle. Il y pensait, puis se l’interdisait. Que venait-elle faire dans sa vie ? Ils s’étaient connus par messages dans un cadre strictement professionnel et n’avaient échangé que des propos sans ambiguïté liés à leur métier. Par la suite un coup de fil, un simple coup de fil. Rien d’extraordinaire qui puisse justifier que son visage glisse dans ses pensées et s’immobilise. Juste un coup de fil où il avait découvert sa voix. Etrange comme une voix peut tout à coup éclairer un visage et dévoiler en partie l’intérieur d’une personne.
Lui, vivait une vie stable et sans histoires presque confortable. Une vie de rêve pour certains qui n’imaginent pas une seconde le parcours pour y parvenir. Elle, dans un contexte différent, vivait à peu près la même vie sagement sage. Tous deux en couple, en famille, avec la certitude que jusqu’à l’arrêt d’autobus définitif, leur chemin n’en croiserait pas un autre. Qu’ils ne sortiraient pas de cette ligne droite toute tracée vers un horizon prévisible. Qu’ils ne mettraient pas un pas en dehors des clous et de la ligne rouge.
Et pourtant ce jour-là, alors qu’il était certain que ça ne lui arriverait plus jamais, il avait pris conscience qu’il était tombé amoureux. Terriblement Amoureux.
Amoureux à son âge ? La question lui avait bien traversé l’esprit avant qu’il ne songe à la réaction de ses vieux parents, de ses enfants, de ses petits-enfants, et le mal qu’il allait faire à cette femme qui l’avait accompagné dans les pires instants et à qui il ne pouvait rien reprocher.
Il l’avait affirmé cent fois aux autres ; il n’y a pas d’âge pour être amoureux. Aux autres ! Aux autres oui, mais pas à lui-même. Mais amoureux de quoi ? D’une image, d’une voix ? Que lui manquait-il pour qu’il regarde ailleurs ? Rien…
Elle, vivait exactement le même dilemme. Se posait exactement les mêmes questions et chacun ignorait si la réciproque était au rendez-vous. Avaient-ils vécu le même tremblement de terre, la même éruption volcanique, le même tsunami, le même jour au même instant ? Ils ne le savaient ni l’un ni l’autre et vivaient leur incroyable histoire chacun dans leur coin en pensant qu’ils s’étaient fait un film.
Car au fond, rien ne les prédisposait à se rencontrer et rien n’aurait dû les attirer l’un vers l’autre. Ça, c’était les prétextes qu’ils se répétaient en boucle. Rien. Il ne s’agissait pas d’amour mais d’attirance. Il était certain de ne pas correspondre à son idéal d’homme et elle à son idéal féminin. Et elle, en se tirant la peau des joues face au miroir de la salle de bain se murmurait d’une voix de velours que « Peut-être que… mais non mais non… » En y rajoutant pour conclure dans la négative quelques constatations acerbes qui justifiaient de l’impossible attirance qu’elle aurait pu susciter. Et lui, devant un miroir tout aussi cruel à trop le regarder, se jetait les mêmes pierres.
Ils n’avaient ni l’un ni l’autre envie de refaire leur vie. D’ailleurs refait-on jamais sa vie? Alors ils laissèrent la situation en l’état en espérant que le temps tasserait ces sentiments d’un autre âge qu’ils ne voulaient pas prendre aux sérieux.
S’ils étaient allés au bout de la démarche, ça les auraient emmené vers quoi ? Une aventure sans lendemain, le coup d’un soir, des amants occasionnels, l’aventure pour l’aventure, un peu de piment ? Ils passaient simultanément en revue la liste des possibles qui les arrangeaient pour refuser de voir en face la réalité de leurs sentiment aussi puissants qu’inattendus Mais, maitrise-t-on les sentiments qui nous traversent ? Surtout quand ils ont cette force, même avec la meilleure des autosuggestions ?
Et puis un jour, bien des mois plus tard, le hasard. Le plus grand des hasards. Le hasard serait-il un ange ? Un ange comme un ange gardien ? Un ange créé pour provoquer les choses ? Pour rendre l’incroyable possible et l’impossible réalisable ?
Un jour… un congrès. Un congrès auquel il ne devait pas participer. Même en trainant les pieds il en avait horreur. Mais une semaine avant la date fatidique ; un message. Un message presque anodin juste pour l’interroger sur sa présence éventuelle parce que elle, elle y serait. En accompagnante, mais elle y serait. Et lui ? Et lui ! Qu’importait tout à coup son planning hyper chargé, il y serait aussi. Et un rendez-vous informel fut pris. Un rendez-vous juste pour se découvrir en vrai. Pour passer du virtuel au réel avec le risque de la déception ou son contraire.
Pour lui, dès les premières secondes ce ne fut pas une découverte mais une confirmation. Elle ressemblait à sa voix, à l’image de ces photos volées sur le net, et même le mouvement de ses doigts, de ses mains, de ses sourires attestait de la douceur et de la rigueur d’un caractère qu’il avait pressenti. Cependant, l’angoisse de la réciproque lui fit remonter des papillons dans le ventre. Des papillons si caractéristiques quand le doute vous voile l’esprit.
Elle, ne laissait rien transparaitre. Simple protection ? Avait-il droit à l’erreur ? Et à l’usage d’un joker dans le pire des cas ? Elle n’était pas seule il y avait d’abord l’homme qu’elle accompagnait et sa secrétaire. Quand ils prirent place cote à cote pour suivre les discours des divers intervenants un courant étrange lui parcouru la peau. Son bras toucha son bras et y resta collé provoquant en lui une incroyable montée d’adrénaline. Il aurait presque voulu rire de cette sensation, se moquer de lui-même, ce qu’il vivait ne lui correspondait pas. Et pourtant, il aurait voulu aussi arrêter le temps avant de se poser la question : Ressentait-elle ce qu’il ressentait ? Vivait-il ça tout seul ou était-ce déjà un état commun ?
Un geste le tenta. Un beau ou terrible geste. Que risquait-il ? Il aurait suffi juste d’oser, oser lui prendre la main. Lui prendre la main pour stopper ou surmultiplier ce vent d’amour qui s’immisçait entre eux. Pour que naturellement ce vent léger chaud et doux les enrobe, les rapproche, les unisse. Mais…
Il passe et s’écrit tant de messages à travers deux mains qui s’approchent, se touchent, se serrent ou s’éloignent. Et il le savait. D’abord, et c’est ce qu’il craignait le plus, la main qui se retire dès le premier contact, même avant, juste quand l’électricité statique comme une alarme prévient de la proximité ressentie en réaction à une agression. Ou la main qui se retire en douceur, en laissant presque une caresse dans le sillon de son retrait. Un effleurement qui signe un refus presque à regret. Et la main qui se retire après un affleurement et une pression qui pourrait vouloir dire c’est trop tôt ou, ni le jour ni l’endroit. Et puis, à contrario, la main qui se laisse saisir sans réaction, mieux qu’un retrait mais tellement dans le doute. Ou cette main qui serre l’autre délicatement pour écrire sa réponse en pulsions. Ou celle qui se serre en douceur et n’attend pas pour entremêler ses doigts aux siens dans un merveilleux maillage en couronnement immédiat à une longue attente.
Il n’avait pas osé, pas encore. Elle l’observait sans tourner la tête ni le regard. Elle l’observait et il le sentait comme jamais il n’avait senti la chaleur d’un regard, même indirect, lui chauffer la peau.
Ils se séparèrent vers 18h, enfin non, à dire vrai, c‘est lui qui partit sur de faux prétextes bien avant la fin de cette journée. Il ne s’était rien passé. Ou plutôt, il s’était passé tant de choses que les mots à eux seuls ne peuvent exprimer.
Et puis la vie reprit son cours avec moins de messages même professionnels, aucuns appels téléphoniques, le calme plat ou le vide absolu qui le laissa à penser que ça n’avait été qu’un rêve et la preuve qu’il n’y avait pas d’âge pour tomber amoureux mais une date limite pour aller au bout du parcours. Jusqu’à se convaincre de l’adage qui dit qu’un coup de foudre ne dure pas... pas plus de quelques jours, quelques mois.
Ils savaient qu’il n’y aurait pas de suite, pas d’avenir à ce qu’ils avaient vécu. Pas « d’après » à ce moment de grâce offert comme un cadeau. Il l’oubliera, elle l’oubliera…
Sauf qu’un an plus tard, un message qu’il ne prit d’abord pas au sérieux, vu l’épaisseur de l’humour employé, lui rappelait comme un aveu qu’il ne l’avait pas laissée indifférente. Message auquel il répondit avec le même humour, mais des mots plus clairs, que lui, avait été réellement Amoureux ! Amoureux fou hésitât-il à préciser par crainte de se noyer dans les travers d’une romance à l’eau de rose. Et cette crainte l’empêcha de lui exprimer tout ce qu’il avait ressenti, pendant et après leur rencontre.
Elle avait eu peur. Peur de l’inconnue. Peur de la réalité qui la prenait de cours. Peur d’elle-même. Peur de ce retour en "enfadolescence". Peur de ce cœur qui palpite quand la raison freine des quatre fers. Désormais ils savaient qu’ils étaient peut-être passé à côté du merveilleux au profit du raisonnable.
De ce souffle d’amour, que subsistera-t-il ? Un souvenir, une complicité, une émotion secrète dont ils ne se confiront jamais à quiconque avec précision. Un regret, une belle et simple histoire, avec le cœur et pas le corps et pourtant inoubliable….
A moins? A moins que l’Ange du hasard ne se contente pas d’un joli souvenir et décide, d’écrire la suite de l’histoire. Une histoire qui débuterait… sur un souffle d’Amour. Et ce jour-là il fera beau, très beau, on se souvient toujours du temps qu’il faisait ce jour-là.
Ainsi Va la Vie…
Williams Franceschi
Cette nouvelle entrera dans le prochain recueil "Ainsi Va la vie Tome II" à paraître en 2023
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