Ainsi Va la Vie... épisode n° 123 Un Amour de TOURNESOL
Lui offrir des tournesols pour son anniversaire. Louis s’étonna de ne pas avoir eu cette idée les années précédentes. Une idée qui aurait pu paraitre saugrenue si cette sunflower, n’avait à travers un roman, tissé les prémices d’une longue relation épistolaire suivie de contacts sporadiques auquel il accordait étrangement une importance démesurée dont il doutait de la réciprocité, mais qu’importait.
Louis aurait pu lui en faire parvenir un somptueux bouquet ou un plus intime par Inter Flora et le tour était joué. Mais cette démarche tout à la fois pratique et d’une affligeante banalité le laissait sur sa faim. Ça manquait de panache et d’originalité. Puisque la distance qui les séparait posait une difficulté majeure pourquoi ne pas lui offrir un tableau représentant des tournesols. Evidement un vrai pas une repro. Oubliant les Van Gogh, Monet et les intouchables jardiniers de la palette, Louis pensa à nombre de petits peintres… Bien sûr le colis arriverait avec un certain retard mais aucun risque que malgré la canicule qui sévissait sur l’hexagone le contenu ne dépérisse et ne parvienne à sa destinataire fané, desséché ou pire dans un état de momification avancé.
L’idée avait fait son chemin. Il ne restait plus qu’à dégoter la toile. Huile, gouache, pastel ou aquarelle… Et puis Louis refreina son enthousiasme en se remémorant toutes ces œuvres d’un autre monde qui lui avaient été offertes et qui ne correspondaient ni à ses gouts, ni aux couleurs de son intérieur et que par politesse et complaisance il accrocha aux murs du hall d’entrée le temps d’une photo justificative ou de la visite de l’artiste et qu’il rangea soigneusement à la cave dès le lendemain du départ.
Ne pas offrir ce que l’on n’aimerait pas recevoir. Ne jamais imposer ni ses gouts ni ses idées. Connaitre l’autre pour partager. Faire découvrir mais savoir deviner dans la première seconde si l’on est en communion ou si le semblant mange la sincérité… voilà quelques règles parmi d’autres à suivre et que Louis s’était toujours efforcé de s'imposer.
En plus d’internet, Louis s’usa en visites chez des particuliers, des expos amateurs, des marchands locaux, et quelques antiquaires de ses amis. La pêche s’avéra catastrophique. Soit il ne s’agissait que de repros de repros à la sauce inspirée jusqu’à l’étouffement, soit le talent manquait à l’appel, soit ; et c’était le plus gros hic ! Les tournesols ne s’avéraient pas le sujet de prédilection du plus grand nombre des Van Gogh en herbe en activité. Les princes du pinceau préférant de loin les marines, natures mortes et autres champs de lavandes. Donc, mauvaise pioche et retour à la case départ.
Et c’est justement en rentrant à la case, que sur des dizaines d’hectares Louis se rendit compte, parce qu’il touchait le sujet de près, qu’il traversait tous les jours, sans y accorder plus d’intérêts que ça, une mer de Tournesol.
Et s’il lui offrait des photos ? Des photos originales qu’il prendrait lui-même ?...
Aujourd’hui sous une chaleur normale ou presque pour la saison, le détour obligatoire pour Louis, comme chaque semaine, passait par le marché. Louis adorait ce lieu populaire où les gens, les couleurs, les odeurs, les sentiments, se mêlent et se mélangent. Ou l’on ne vient pas que pour acheter mais pour échanger, oublier, apprendre, papoter, gentiment cancaner partager ; un mot, une anecdote, une recette, un regard, un sourire… et des images…des images… des images…
Et une image traversa l’allée centrale … Elle portait une robe légère et par le jeu des transparences le soleil rasant du matin redessina sa silhouette tandis qu’en subtiles nuances les contre-jours marquaient les courbes de ses hanches et les galbes généreux de sa poitrine. Elle était belle, très belle et sa chevelure, quoi que courte, ondulait à chacun de ses pas sursautés. Tout en elle reflétait fraicheur, naturel et joie de vivre.
Louis s’en approcha à la frôler. Etait-ce son parfum ou le grain de sa peau qui sentait la mer, le soleil et la liberté. Louis avait-il été séduit dès la première image ou avait-il succombé au premier regard ? Il ne se souvenait plus. Mais de quoi se souvenait-il à part de la magie de l’instant ? Etait-il vraiment physiquement présent ou passager clandestin embarqué dans un rêve ?
Elle préleva quelques pommes sur un étalage puis tendit son plateau pour la pesée. Quand la marchande la dessaisit de ses fruits elle lui sourit. Un sourire, un simple sourire. Louis aurait voulu arrêter le temps. Le mouvement. Immobiliser l’instant. Garder cet instantané. Ce n’était pas un sourire. C’était : Le sourire. Pourquoi accordait-il une telle importance à chacun de ses gestes. Pourquoi lui paraissaient-ils si gracieux et elle, investie d’une telle élégance de la pointe des doigts au fil de ses lèvres ?
Elle réajusta la fine bretelle de sa robe et rangea la mèche rebelle qui lui masquait le front avant de récupérer sa monnaie. La marchande s’adressa à Louis pour lui demander ce qu’il voulait. Il répondit avec un léger temps de retard. L’avait-elle réveillé ou extrait d’un univers où il planait ?
- Ah ! Pardon… des pommes
- Combien ?
- Des rouges
- Un kilo ?
- Comme vous voudrez… mais j'ai un sac.
-…….
La belle inconnue tourna son visage en y préservant son sourire. Il sentit le passage de son regard comme une couche de projecteur à la lumière brulante lui irradiait la joue. L’observait-elle pour découvrir le visage et l’aspect de celui qui bafouillait n’importe quoi à côté d’elle ? Peut-être. Ces trois ou quatre secondes lui parurent une longue très longue minute. Enfin il releva son regard et leurs regards qui auraient dû se croiser s’aimantèrent. Deux, trois, quatre secondes… une éternité.
Son sourire fondit pour laisser subsister une douce empreinte sur son visage peau de pêche des nuances d’interrogations en suspens. Louis lui sourit. Elle lui sourit. Un vide à la fois léger et pesant les sépara et les unit.
La marchande fendit le silence et la magie de cet instant en suspension dans l’air et dans leurs palpitations cardiaques en tendant à Louis son sachet de pommes et simultanément en lui annonçant d’une voix tonique, en total désaccord avec l’ambiance feutrée, le prix des fruits. Le temps que Louis réalise et qu’il paie, comme par désenchantement son inconnue avait disparue.
Il tourna la tête comme un gyrophare en observation. Mais avant qu’il ait terminé son tour d’horizon au sens propre, la marchande complice involontaire lui fit d’abord un signe de la main comme un coucou pour qu’il émerge, puis ayant requis son attention lui indiqua d’un index tendu la direction vers laquelle son inconnue était partie.
Il sourit à la marchande en signe de remerciement. Mais non ! Il n’allait pas la suivre. La chercher, la rechercher ? Tant pis ! Sa belle inconnue s’était évaporée dans la foule. Il ne chercherait plus. D’ailleurs avait-il commencé sinon du bout des yeux.
Combien de chances sur l’échelle des probabilités qu’il la retrouve ? Une pour mille ? Une pour deux ou trois milles ? A quoi bon espérer l’improbable. Et puis à bien y réfléchir pour peu qu’il ait eu les idées claire ; deux regards qui s’électrisent, s’attirent et se tétanisent sans le moindre mot le moindre geste juste des ressentis juste basés sur un physique, un visage, ce n’est la preuve de rien, de rien du tout.
Et puis très vite il justifia cette non-suite en se dévalorisant et en y ajoutant plusieurs couches d’arguments aussi imparables que ridicules. Elle était beaucoup trop… et lui pas assez… ou plus vraiment. Bref il fallait en rester là. Cette histoire n’en était pas une. Juste une belle scène dans un film dont louis n’avait pas eu l’honneur d’écrire le scenario et encore moins d’y interpréter un rôle d’importance. Juste une jolie scène qu’involontairement la vendeuse avait coupée avant montage.
Il se trouvait stupide. Mieux valait oublier et en rire. Mieux valait… Mais entre le dire et l’assumer. Entre essayer et réussir les fossés sont parfois difficiles à franchir. Et pour l’instant l’image de son inconnue tournait comme un papillon dans sa tête. Son visage, son sourire, l’ourlet de ses lèvres, sa silhouette, la finesse de ses mains, tout, en détail et en vrac, se projetait sur l’écran de ses paupières aussitôt qu’il fermait les yeux. Il se sentait envouté. Délicieusement envouté mais envouté quand même.
Il déambulait maintenant dans les allées de ce marché sans but précis. Il ne se souvenait même plus pourquoi, sinon par habitude, il y était venu.
Au diable la liste des courses qu’il avait dû oublier sur un étal quelconque. A par le pain et le fromage de chèvre… le trou complet. Seuls les oiseaux qui virevoltaient au-dessus de ce micocoulier retenaient vraiment son attention. Des oiseaux des champs venu se perdre au-dessus…
Et voilà ce qui se produit souvent quand on marche la tête en l’air au milieu de la foule il percuta un monsieur, qui bouscula une dame dont le panier se renversa. Louis se précipita pour ramasser les pommes rouges qui roulaient sur le sol et avant de découvrir le visage il reconnut les mains qu’il aidait.
De la précipitation le mouvement passa au ralenti. Ils étaient seuls au monde accroupis au milieu de dizaines de jambes qui les frôlaient. A nouveau leurs regards s’aimantèrent. Et leurs sourires partagés souriaient-ils aux circonstances ou au bonheur de se rapprocher pour la seconde fois en si peu de temps. Si peu de temps ou pourtant la séparation leur avait paru, à elle comme à lui, étrangement très longue. Il y a des choses qu’on ne croit possible que dans des livres ou au cinéma pourtant sur les dernières pommes qu’ils ramassèrent sans vraiment regarder ce qu’ils attrapaient, leurs doigts, simultanément, saisirent le même fruit. Deux mains pour une pomme qu’aucun d’eux ne lâchait. Leurs doigts ne lâchaient pas le fruit et leurs yeux ne quittaient pas leurs yeux.
Et puis, toujours accroupi, Louis osa :
- Il fait chaud… Je peux vous inviter à boire quelque chose…de frais ? Le café est juste là
- Je crois que oui….
Tout aurait pu se dérouler, comme prévu… et se poursuivre comme un conte de fée. Mais un évènement perturba leur discussion alors qu’ils dissertaient sur le cheminement de leur rencontre. Une petite fille, pour promouvoir l’ouverture d’un nouveau fleuriste à deux pas du marché offrait aux passants, accompagné d’un trac publicitaire, toutes sortes de fleurs ; roses, bleuets, tulipes… et elle tendit à la belle inconnue et à Louis deux superbes…. Tournesol.
Cette fleur solaire rappelait-elle quelque chose à Louis ? Leurs collations terminées ils s’échangèrent leurs coordonnées.
- Si un jour les choses doivent se réaliser elles se réalisent lança Louis. Et nous avons déjà un souvenir commun !
La belle inconnue sourit et acquiesça de la tête, une ombre de regret dans le regard que Louis feint de ne pas voir.
- On s'appelle? lui murmura-t-elle
- On s'appelle!
Ainsi Va la vie
(A suivre…)
Williams Franceschi
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